Autopergamene

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Le Chant des Sirènes

Published 14 years ago
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Tout système a une faille, même le plus parfait, le mieux pensé, et le plus puissant d’entre eux.

Il existera toujours un détail capable de le faire échouer, quel qu’il soit.

Peu importe le concepteur du système, son but, ou son fonctionnement.

Tout système a une faille, même le plus parfait d’entre eux.

1

Les fenêtres de la salle de classe laissaient passer de minces rayons de soleil, qui se faisaient désormais si rares en ce milieu d’hiver. Ils éclairaient faiblement les couleurs des bureaux, des murs et du tableau vert foncé qui étaient devenues si ternes ces derniers temps. Comme une photo vieillie par le temps, et tendant vers le noir et blanc jour après jour.

Nous étions en fin d’après-midi ce jour-là, et les aiguilles tournaient avec la lenteur dont elles ont le secret ces moments-là.

Meredith les contemplaient, assise à sa place au fond de la classe. Ce n’était pas le meilleur moyen d’être bien vue par le professeur, mais au fond régnait une atmosphère à cents lieues de celle quelques places devant. Il y régnait en particulier une paix plus qu’appréciable. Une paix dont Meredith n’aurait su se lasser.

Le professeur de littérature qui allait et venait dans la salle depuis quelques minutes finit par brandir l’objet tant recherché : un livre jaune sur lequel était inscrit « Le Festin Nu, William Burroughs ».

Meredith relâcha le peu d’attention qu’elle maintenait sur lui. C’était après tout, un livre qu’elle avait déjà lu. L’histoire d’un écrivain drogué, qui d’un soir dans un état second, écrit ces quelques pages. Et qui le lendemain, les retrouve empilées devant lui : des bribes de messages écrites par le plus profond de son subconscient. Un monde intérieur torturé par tout un tas de produits nocifs, et qu’on visite pour la première fois.

« Meredith Berthenson ! » s’écria le professeur devant son tableau. Elle s’empressa de se redresser sur sa chaise et de faire mine attentive. Il resta quelques instants à la regarder, fixement et froidement, murmurant sa petite réplique sarcastique qu’il avait dû prononcer des milliers -voire des millions ?- de fois dans sa carrière. C’est le tableau qu’il faut regarder, pas la fenêtre. C’était peut-être ça, qui manquait à cet homme et sa chemise beige si laide : un vrai sens de la répartie.

Se tendit au bout de ses lèvres un petit sourire lorsque les yeux bleus de Meredith furent enfin tournés vers lui. Ce après quoi il fit claquer discrètement son palet avec sa langue et reprit son discours.

Meredith se pencha un instant vers son amie à sa droite, et lui murmura quelques mots : « Dans notre monde à nous, rien qu’à nous, les profs comme lui seraient pendus haut et court. »

2

La sonnerie retentit, laissant une heure de plus s’achever. Une heure que comme toutes les autres, Meredith avait passé avec la seule personne capable de comprendre son univers chaotique. Elle s’appelait Clara. Jeune adolescente assez petite pour son age, de beaux cheveux blonds et courts, et de pétillants yeux marrons. Et pourtant elle ne faisait pas spécialement retourner les têtes à son passage. Du moins, bien moins que son amie Meredith… plutôt mignonne, de longs cheveux bruns foncés, et quelques formes ni trop prononcées, ni pas assez.

Oui, peu importe ce que les gens médisaient, Clara et Meredith étaient de jolies filles. Mais elles avaient un point commun, cette malédiction de rejeter un monde qui les rejetait. Elles s’étaient coupées des autres depuis déjà bien longtemps, et avaient fini par être surnommées « les deux lesbiennes ». Celles qu’on croise et salut, mais dont on n’apprend jamais plus que le nom et le prénom.

Voilà pourquoi elles étaient si seules… La vie par le vide.

Elles s’assirent sur un banc sur lequel elles avaient l’habitude de venir passer du temps au calme. Il était situé dans un de ces petits parcs annexés au bâtiment. Des forets qui entouraient le lycée de toute part, et que personne n’avait voulu abattre pour construire le lycée. Alors il avait été construit plus loin de la ville, beaucoup plus loin : là où il y eut enfin de la place. Quelques grillages histoire de délimiter la propriété de Mère Nature, et la propriété de l’Homme ; et l’affaire fut réglée.

Il ne faisait pas chaud aujourd’hui. C’était un mois de novembre, après tout. A peine quittées les lourdes chaleurs de l’été, que la neige avait déjà recouvert par mince couche le sol. Les pulls quant à eux avaient recouvert les débardeurs, les jeans avaient remplacées les jupes ; et les larges sourires des gens avaient laissé place à ces sourires en-coin qui se glissent sur les lèvres gercées de ces gens dont le cœur est soudainement empoigné par le froid.

Les deux jeunes filles furent sorties de leurs pensées par un autre de ces tyrans qui prenaient plaisir à les maltraiter. Un large pull marron sur le dos, il se contenta de passer en coup de vent devant elles pour leur claquer les joues à son passage.

En vain, certes ; mais l’acte n’était gênant, que parce que si fréquent…

A quelques mètres de là, derrière les grillages du lycée, une autre personne observait la scène avec un intérêt certain. Là, de ses petits yeux oranges et blancs. C’était un chien ; ou un loup peut-être, simplement égaré dans les forets. Quelque chose dans ses yeux ressemblait à du mépris envers cet homme. Ou peut-être envers toutes les personnes présentes derrière ce grillage.

Non. Pas toutes, pas les deux jeunes filles sur lesquelles ses yeux perçants se posèrent après quelques instants. Il ne les dévisageait pas, ou du moins, pas de la même manière.

Sa tête se redressa et un hurlement sortit de sa gueule levée vers le ciel. Le classique chant du loup, qu’on imite aux enfants sous leurs couettes pour leur faire peur.

Le Grand Méchant Loup, qui casse les portes fermées pour dévorer les enfants apeurés.

Meredith et Clara n’osèrent réagir à ce hurlement. Tout le monde s’était retourné, tout le monde regardait ce loup égaré avec compassion ; mais dans le fond tout le monde était content que le grillage soit là.

Le loup resta à hurler encore quelques minutes. Pour rejoindre ces gens dans leur petit monde, de l’autre coté du grillage.

Ou simplement hurler pour les attirer, dans son monde à lui, rien qu’à lui.

Meredith se pencha vers son amie, et sans quitter des yeux le loup -comme hypnotisée-, elle lui murmura quelques mots à l’oreille.

« Dans notre monde à nous, rien qu’à nous, ce loup chasserait les in-méritants. ».

3

Apres la pause, toujours trop courte, pas assez longue pour réellement réfléchir, s’en suivit de nouvelles heures études. Que de temps à étudier la mort, la guerre, la violence. Ecrite ou imagée. Pourquoi une telle fascination ? Clara ne pouvait s’empêcher de se dire à chaque fois que si un esprit pouvait tout changer, le monde serait meilleur pour tous, du moment que c’est un esprit réfléchi. Il suffirait de supprimer les armes, supprimer les drogues, et des tas d’autres idées utopiques qui n’arrivent que dans les têtes des jeunes étudiantes qui à défaut de pouvoir penser à l’amour, pensaient à tout ce qui reste.

Il faut un esprit réfléchi pour changer le monde, et ni Clara ni Meredith n’en avait réellement. Personne n’en avait réellement. Mais les vraies amies se comprennent sans la parole. Meredith se tourna vers Clara et après quelques secondes à déchiffrer son regard, elle prononça : « Dans notre monde à nous, rien qu’à nous, tout serait comme nous l’avons voulu. ».

Clara hocha la tête avec une pointe d’amertume et pensant que cette idée, parmi les centaines d’articles qu’elles ajoutait depuis des années, était sûrement la pire de toutes.

4

Quand enfin la dernière sonnerie de la journée retentit, le crépuscule tendait déjà son voile sombre au dessus du lycée. Les élèves sortaient tous par la porte principale, marchant dans ce long couloir intérieur qui mène à la vraie porte. Celle qui mène au monde extérieur. Peu de gens savaient à quoi servait vraiment ce couloir. La vraie réponse était simplement qu’il aurait dû y avoir des choses, sur ces murs blancs.

Mais il n’y avait jamais rien eu, et le couloir resta là, sans but précis.

Clara et Meredith se saluèrent et partirent chacune d’un côté. Avec le même regret qui accompagnait ce moment chaque jour. Meredith n’avait pas de bus, elle rentrait chaque jour à pied. Six kilomètres qui menaient à une maison construite le long d’une petite route. Il n’y avait pas d’autre lycée aux alentours ; et à y bien réfléchir, il n’y avait pas grand chose aux alentours de cette demeure jaune pâle dressée entre les arbres, tenant tête à la nature du haut de ses deux étages.

Clara marcha vers l’arrêt de bus comme elle le faisait chaque soir. Montant la première, elle se dirigea vers le fond pour y trouver sa place à elle, rien qu’à elle. Celle qui la rejoignait chaque soir de semaine, où elle se posait en étant sûre de ne pas être dérangée.

La tête appuyée contre la vitre, ressentant chaque vibration du gros véhicule, elle regardait le monde défiler à toute vitesse. Des endroits qu’elle ne visitera pas, et des gens qu’elle ne connaîtra pas.

Des gens attendant leurs bus, se tenant debout dans le froid, et croisant l’espace d’un instant le regard froid de Clara de l’autre coté de la vitre.

Son si froid regard à elle, rien qu’à elle.

5

La nuit était tombée et les étoiles brillaient désormais dans le ciel. Clara et Meredith dormaient désormais profondément.

Clara, d’un sommeil profond et sans rêve, d’une immensité de Ténèbres ou Clara se plaisait à dire par moment que si elle rêvait de cela, c’est qu’elle était peut-être morte. Elle se demandait si il ne valait pas mieux être morte, dans ce monde cruel et impitoyable ou elle et Meredith étaient rejetées, montrées du doigt et huées par les foules. Alors par moment, au cœur d’une nuit noire, Clara s’imaginait morte, et par moment, au cœur d’une nuit noire, elle mourrait intérieurement sans réellement s’en rendre compte.

C’était sa manière à elle, rien qu’à elle, de s’endormir.

Meredith, dormait aussi dans sa chambre, mais elle avait tout autre chose en tête. Elle n’était pas aussi ‘suicidaire’ mentalement que son amie.

Et en ce moment même, elle rêvait profondément d’un couloir. Un couloir dont jamais la fin ne se dessinerait à l’horizon. Meredith courrait dans ce couloir, poursuivie par une quelconque créature qui voulait à tout prix la rattraper. Et tout comme ce que pensait Meredith dans ce rêve, la créature symbolisait le monde extérieur qui tentait tant bien que mal de la sortir du gouffre profond dans lequel elle tenait à s’enfoncer de plus en plus jour après jour. C’était son chant des sirènes. Mais Meredith ne céderait pas, elle ne rejoindrait pas les sirènes d’un monde autre que le sien.

Meredith voulu se retourner pour voir si la créature était toujours après elle, mais elle n’y était plus. Et à ce moment la, elle sentit son visage qui s’écrasait violemment contre le mur qui ne devait jamais se dessiner à l’horizon. Le nez de Meredith se mit à saigner de lourdes gouttes rouges foncées qui lui paraissait être une part d’elle même qui s’échappait, pour rejoindre les sirènes.

Meredith s’assit sur le sol et respira lentement. Pendant un instant, elle eut la vague impression que ces gouttes de sang avaient réellement rejoint le monde extérieur et s’écoulaient sur son oreiller.

L’attention de Meredith fut détournée par un loup qui bondit hors du mur, sans réelle logique, il se contenta de « bondir » à travers la paroi. Il s’avança vers elle en boitant un peu de la patte arrière. Au fur et à mesure que le loup avançait, le couloir autour d’elle changeait, « rétrécissait », c’était un des couloirs de son lycée.

Le loup fixait Meredith de ses magnifiques yeux oranges. Elle toucha son pelage grisonnant et le caressa en restant sur ses gardes. Elle ne risquait rien dans un rêve, mais cela avait l’air si réel. Elle remarqua que le loup avait un collier en argent. Elle le prit délicatement et en déchiffra les quelques syllabes complexes : « Anactaën ».

6

Lorsque Meredith se réveilla, elle sortit de son lit, et alla devant sa glace. Elle prenait toujours quelques minutes pour se regarder en face, droit dans les yeux. Ensuite, elle posait ses mains sur la glace et poussait, chaque jour encore, pour qu’un jour la vitre disparaisse et qu’elle arrive enfin dans son monde à elle, rien qu’à elle.

Mais ce jour la n’était pas encore arrivé. Elle se coiffa vaguement, s’habilla, essuya le sang qui avait coulé de son nez dans la nuit, mangea quelque chose en vitesse et sortir du 127 de sa rue.

Elle se rendit devant le panneau bleu ou le bus s’arrêtait pour la prendre. Une autre journée qui commençait. Elle n’allait pas être si différente des autres : Lundi ? Mardi ? Mercredi ? Quel est l’intérêt si il se passait la même chose jour après jour. Des idées en plus, et de la joie en moins. Comme un cycle malsain dont le seul objectif serait de faire mourir de malheur Meredith et Clara.

Mais lorsque le crépuscule tomba, plus tôt que d’habitude, Meredith et Clara n’étaient pas dans le bus, ni en train de se dire au revoir.

Elles étaient réfugiés dans les vestiaires des filles pour échapper à un autre tyran qui prenait plaisir à faire le mal autour de lui et qui les avait forcé à se retrancher ici.

Elles restèrent là, recroquevillées dans un coin des douches. Le carrelage froid gelait peu à peu leur membres et elle ne sentait plus que leur visage qui aspirait l’air.

Elles attendirent longtemps, qu’il n’y ait plus aucun bruit. Elles finirent par prendre racine, le froid les avait complètement gelé. Elles auraient aimé rester ici pour l’éternité, sans se soucier du reste et de ce qui pouvait se passer dans le monde extérieur.

Meredith fixa longuement le mur d’en face, sans réellement y penser. Et d’une voix calme elle prononça : « Dans notre monde à nous, rien qu’à nous, le temps se serait arrêté ».

Clara fut surprise par ce nouvel article, mais ses yeux se fermaient peu à peu et son esprit cessait de fonctionner pour mourir intérieurement, peut-être extérieurement.

Meredith resta seule avec elle-même. Quand elle comprit que son amie était devenue inconsciente et qu’elle dormait d’un profond sommeil, qu’elle comprit que plus aucun bruit ne résonnerait pour de longues heures, Meredith ferma les yeux à son tour.

Dans la plénitude du silence, leur deux corps ne devinrent plus qu’une ombre dans les lumières qui s’éteignaient peu à peu. Et sans qu’elles s’en rendent réellement compte, elles s’embrassèrent, seules pour l’éternité.

« Dans un monde à elles.

Rien qu’à elles… »

7

Rien ne sembler pouvoir un jour les réveiller, si ce n’est l’eau des douches qui se mettait à couler, lentement, par petits à-coups. Lorsqu’elles commencèrent à en recevoir dans les yeux et la bouche, leur sommeil se stoppa de lui même.

Le silence pesait plus que jamais, excepté le bruit monotone des gouttes qui tombaient. Elles se relevèrent et s’essuyèrent le visage, sans réels souvenirs de ce qui venait de se passer ces dernières heures, même si le goût des lèvres de l’une restait sur l’autre.

Elles sortirent des douches, les zones d’ombres couvraient toutes les surfaces et la seule lumière qui éclairait encore les couloirs du lycée, c’était celle de la lune sans étoiles qui rayonnait à travers les lucarnes.

Tout était désert, plus un son, plus un mouvement. Elles coururent vers le hall d’entrée, leur mains s’agrippèrent aux poignées, mais il était trop tard : les portes étaient déjà closes…

La longue nuit ne venait que de pointer son museau grisonnant au tournant, il allait falloir attendre le gardien qui n’arriverait qu’à l’Aube, pour que quelqu’un daigne ouvrire ces portes. Elles restèrent les mains collés à la vitre, à fixer l’extérieur de leur yeux qui s’emplissaient de larmes. C’est plus que jamais que pour une fois, Meredith aurait aimé repasser la vitre qui mène au monde extérieur, plutôt que de vouloir le quitter.

Alors elles se mirent en marche. Elles erraient sans réel but, sans réel objectif. Clara fit la remarque, le souhait, qu’il restait peut être encore quelqu’un dans l’Administration qui faisait des heures supplémentaires.

Chance perdue d’avance, mais il fallait bien essayer.

Le lieu qu’elles côtoyaient jour après jour n’était plus le même, sans ses organes. Un squelette de lycée sans âme, sans vie. Elles arrivèrent enfin devant la porte qui menait à l’Administration, elles ouvrirent mais c’était vide, plus personne n’était là.

Clara marcha vers le fond, mais les autres salles étaient vides aussi. Meredith remarqua une affiche qui traînait sur une table dans la salle de la machine à café : « Ce soir dans le théâtre : « Un Arbre et un Jardin » adapté du récit de Derreck H. ».

Meredith tendit l’affiche envers Clara, elle se fixèrent un long moment.

Chance perdue d’avance, mais il fallait bien essayer.

Quand la main de Meredith se posa sur la poignée de la porte du théâtre, elles prirent toutes deux une grande inspiration et la porte s’ouvrit en grand. Et l’air qui était entré en elles s’échappa d’un petit jet sec. Leur yeux s’agrandirent, et sous leur regard vidés par la peur, s’étendait une étendue de corps, morts.

8

Leur corps bougeaient, ballottés par les courants d’airs qui semblaient sortir de nul part. Et malgré cette agitation, leur corps restaient fades et sans vie.

Cela venait sûrement aussi du mouvement de balancier provoqué par les cordes qui soutenait les cous des professeurs du lycée. La question de qui aurait pu commettre telle horreur, ou de comment ne venait pas à l’esprit des jeunes filles. Elles ne voulaient pas savoir.

Meredith se retourna pour partir. Mais Clara ne bougea pas. Quand Meredith posa sa main sur son épaule, Clara prononça « Dans notre monde à nous, rien qu’à nous, les professeurs n’existeraient plus. ».

Meredith arrêta de tirer l’épaule et relâcha son emprise. Tout venait de s’effondrer, toute logique, tout semblant de vraisemblance dans ce qu’elles voyait. Il n’y avait plus de « Qui ? » ou de « Comment ? ». Leur lois étaient leur lois. Leur corps devenaient statiques. A la limite de la catatonie, elles refusaient d’y croire, et elles ne bougeraient plus jusqu'à ce que le jour les réveille dans leur lit.

Mais la réalité n’est jamais comme on le voudrait, ce qui lui donne ce charme si amer. Un courant d’air passa, qui allait de la scène à la porte, comme si une main sans force avait voulu les pousser vers la sortie. Leur jambes commencèrent à faire demi tour sans qu’elles s’en rendent réellement compte.

9

La double porte se referma et les hurlements au fond de leur pensées cessèrent. Ce n’était qu’un simple rêve et elles étaient endormies dans les douches voilà tout. Elles se plaisaient à croire à cette idée, c’était la dernière chose de concrète à laquelle elles pouvaient encore se raccrocher : les profondeurs des rêves et du subconscient.

Elles en parlèrent un peu entre elles, pour se rassurer. Ce fut d’ailleurs le seul son qui rompit le silence. Avant qu’il ne se rompe a nouveau de lui même. Des bruits de pas, plutôt des bruits de griffes qui tapaient sur le sol, a intervalles régulières. Clara ne bougea pas, mais Meredith commença à reculer. Les bruits de griffes se rapprochèrent.

Meredith saisit Clara par la main et tira pour la faire reculer. Elles s’étaient déjà écartées d’un mètre de la porte, pas par pas. Clara se retourna vers Meredith pour lui demander pourquoi elle voulait partir. Mais elle ne vit que Meredith qui saignait du nez et rependait des taches rouges foncées sur la moquette. C’était comme ça depuis qu’elle avait sept ans, depuis que… non, ne pas y repenser. Mais depuis ce jour, dès que Meredith avait peur, son nez saignait, pour que Meredith s’échappe intérieurement par petites gouttes et oublie ce qui se passe sous ses yeux. Pour ne pas penser à ce que son père lui faisait ce jour là...

Elle revint à la réalité, car ça y est, on commençait à percevoir les halètements du loup qui montait marche à marche vers la porte. Meredith ferma les yeux, tourné dos a la porte. Elle compta jusqu'à trois avant de tirer violemment Clara pour fuir au loin. Clara aperçu vaguement, avant que Meredith ne l’entraîne, la silhouette d’un loup qui bondit à travers la porte comme un fantôme de film. Comme si c’était un film.

La poursuite continua à travers les couloirs, le loup gagnait du terrain et était à quelques centimètres des jeunes filles. Clara tapait tant bien que mal sur lui avec son sac mais rien n’y faisait. Il y eut seulement, un soudain craquement avant que le loup ne s’étale. Sa patte arrière s’était cassée sous la pression et le poids du loup, qui s’étala de tout son long sur le sol. Il se traîna encore quelques centimètres, et ne bougea plus. Sa pupille devint plus petit et il se raplatit sur lui même comme un simple chien endormi, qui fixait les jeunes filles de ses deux billes noires-orangées.

Meredith et Clara s’arrêtèrent. Meredith parut réfléchir, elle se mit à genoux et s’approcha peu à peu du loup pour le caressa avec précaution le long de son pelage grisonnant. Puis elle ferma les yeux, et saisit le collier en argent avant d’en prononcer les syllabes sans les lire : « Anactaën » : « Le loup qui chasserait les in-méritants. ».

Clara se mit à genoux et regarda avec tristesse le loup. Puis elle s’adressa à lui directement, en lui demandant en quoi elles étaient in-méritantes. Celui ci voulu leur montrer quelque chose du bout du museau, quelque chose derrière elles, mais elles ne remarquèrent rien d’étrange.

Elles se relevèrent et partirent à la recherche d’une issue, pendant que le loup restait sans bouger, tapis au fond de l’ombre du couloir. Ses larmes coulaient le long de son museau et s’éclatèrent au sol comme on briserait un mauvais souvenir. Comme si ce n’était qu’un mauvais souvenir.

10

Tout les couloirs se ressemblaient, et toutes les portes étaient closes. Il n’y avait toujours pas d’étoiles dans le ciel noir, dans ce ciel de Ténèbres. Elle s’assirent sur le Banc des Songes, pas celui près du bois, car on ne pouvait y accéder que par les portes extérieures. C’était un autre banc, en bois, dans un petit couloir étroit entre deux salles de classes. Le meilleur endroit était ici, à attendre que le gardien revienne avec le soleil derrière son dos.

Elles étaient assises depuis plusieurs minutes et se tenaient entre leur bras pour se réchauffer. L’air commençait à devenir vraiment froid. Clara entama la conversation :

  • Meredith.
  • Quoi ? dit-elle sans réellement écouter ce qu’allait lui dire Clara, car elle repensait sans cesse à son rêve de la veille.
  • Le loup, et les pendus, tu crois vraiment qu’ils sont sortis de notre monde ?
  • Possible…

Il y eut un léger « bip » rapide, encore et encore. Clara sortit de son sac un téléphone portable. Quand Meredith l’aperçut, elle y vit alors une chance inespérée de s’en sortir et se demanda pourquoi Clara ne l’avait pas sortit avant. Clara décrocha mais la ligne était vide, juste un grésillement de plus en plus fort. Mais à peine avaient t-elles compris la suite des évènements, que le loup traversait déjà le mur entre leur deux têtes. Celui ci n’eut pas réellement le temps de morde qui que ce soit, son corps traversa le mur d’en face et il se retrouva dans la salle d’anglais.

Meredith et Clara coururent du plus vite qu’elles purent, en cherchant un endroit ou se cacher. Le loup sauta à travers la porte de la salle et se remit à pourchasser les jeunes filles. Pas en courant, juste en suivant à la traces les gouttes de sang qui s’écoulaient du nez de Meredith.

Les pires mondes ont leur lois, « Article 41 : Les Intrus n’auraient aucune chance de survie. ».

11

La porte métallique des cuisines s’ouvrit une fraction de seconde le temps de laisser passer les deux ombres fugitives. Clara referma et teint de toutes ses forces le verrou métallique de la porte. Meredith jeta un œil et aperçut un museau grisonnant qui pointait déjà au bout du couloir.

Elles se tenaient des deux cotés de la porte. Le bruit du loup qui boitait vers elles se faisait de plus en plus fort. Son museau passa à travers la porte et renifla un peu les alentours. Puis il repartit, étrangement. Meredith vit le loup s’éloigner vers là d’ou il était venu. Clara demanda si il ne les avait pas vu. Mais Meredith secoua la tête, car le loup se retourna une dernière fois vers Meredith, et détourna le regard. « Peut être, peut être qu’il ne nous considère plus comme des in-méritantes… ».

Meredith s’assit sur le carrelage, adossée à un placard de rangement métallique. Clara ressortit son téléphone et tenta d’appeler n’importe qui. La police, les pompiers, même ses pires ennemies. Mais aucun appel n’aboutissait, aucune tonalité. Clara jeta son téléphone au sol et évoqué une des premières lois de leur mondes : « Article 1 : Aucun contact avec le monde extérieur. ».

Clara s’assit à coté de Meredith. Elles fixèrent attentivement leur reflets sur le placard métallique d’en face, leur ombre déformée. Toutes ces lois qu’elles avaient mise au point se retournaient contre elles, et elles se rendaient compte à quel point ces règles étaient stupides et mal pensées.

« Meredith…sanglota Clara au bord des larmes.

  • Quoi ?
  • On va mourir ici n’est ce pas ?
  • Oui, car on s’est trompé…
  • Trompé sur quoi ? dit Clara en relevant la tête de ses mains.
  • Ce n’est pas le loup qui est venu dans notre monde, c’est nous qui venons de pénétrer dans le sien…
  • On est considérées…comme des intruses alors…
  • Hier soir, j’ai rêvé, j’ai rêvé que ce loup serait la bête qui symbolise le monde extérieur. Et il nous pourchasse depuis bien plus longtemps qu’aujourd’hui. Et désormais c’est sa dernière chance de nous ramener vers le monde extérieur, car après nous serons mortes.
  • Tu veut dire, qu’il veut nous ramener aux autres ?
  • En quelques sortes... »

Elles réfléchirent encore un peu. Pourquoi ne pas céder au loup alors ? Sûrement parce que le loup symbolisait quelque chose d’effrayant au regard de n’importe quel être humain, et que si il devait ramener quelqu’un à la réalité, cela se ferait dans la souffrance et le sang.

Ca y est, elles venaient de découvrir l’étendue malsaine de leur mondes à elles, rien qu’à elles. Sans le dire, leur esprit passait en revue toutes les lois, pour voir si il n’y en aurait pas une qui pourrait les aider. Mais évidemment que non, car dans le fond « on allait tous mourir ici ».

« Pardon ? » fit Clara sur le point de s’endormir.

Meredith fixait toujours son reflet dans le métal.

« On va mourir ici.

  • Oh…y a t-il une chance que quelqu’un vienne nous sauver ?
  • Même le soleil ne viendra jamais pleurer nos corps. Nous ne verrons jamais la couleur de l’aube qui arrive.
  • Pourquoi tu dis ça ?
  • « Dernier Article : Dans notre monde, le temps se serait arrêté… »

Elles s’endormirent, dans un lycée encore plus froid qu’auparavant. Peut être mourraient elles de

froid avant même que quelque chose ne se passe, comme ça, dans leur sommeil. C’était la meilleure des morts du monde. Mais ce monde n’était pas le leur.

13

Même sans notion de temps, elles sentaient que le monde autour d’elles changeait, variait, « rétrécissait ». Tout paraissait plus restreint. Meredith et Clara s’étaient assoupies, et leur reflet disparaissait au fur et à mesure que la salle rétrécissait pour de bon. Quelque chose les réveilla, un bruit de craquement. Clara ouvrit vaguement les yeux, ce bruit c’était celui des cloisons de bois qui se brisaient sous la pression du monde qui bouge. Les plus faibles craquent en premier.

Clara saisit le bras de Meredith et se dépêcha de la réveiller. Elle prenait peur.

Meredith vit soudainement sa propre image qui avançait vers elle, son reflet de métal qui se précipitait pour l’écraser. L’autre coté du miroir qui ne veux plus d’une Meredith renfermée et seule.

Elle se leva et se mit a courir, tant bien que mal vers une éventuelle issue, mais chaque seconde réduisait les issues. Et bientôt il n’y en eut plus une seule.

Alors elles s’arrêtèrent. Et fixèrent les murs qui se réduisaient pour les écraser entre leur béton. Meredith s’assit au sol pendant Clara s’affolait et cherchait une issue. « Dans notre monde, tout serait comme nous l’avons voulu. »

Et sans que quelque chose de réel se produise, la salle arrêta de rétrécir, et les corps de Meredith et Clara s’écroulèrent au sol, dans les taches rouges formées par les « petits bouts » de Meredith qui s’étaient écoulés.

14

Ou pouvait elles bien être ? Il n’y avait aucune lumière, aucun son. Juste une étendue infinie de Ténèbres. Clara se revit alors dans son cercueil, étaient elles mortes ? Probablement pas. Meredith ne se sentait pas « morte ». Elle se sentait extenuée, de courir, de penser, de faire quelque chose. Elle voulait manger, boire, voir sa famille et quitter ‘son’ monde qu’elles avaient élaboré. Et qui tombait désormais en ruines devant leur yeux…

15

Elles avaient désormais horriblement froid, signe qu’elles étaient mortes ? Non, quand elles ouvrirent leur yeux, après quelques secondes à s’habituer à la lumière, elles virent un long couloir dont la fin ne se dessinerait jamais à l’horizon.

On pouvait déjà percevoir les bruits de pattes de l’Anactaën derrière elles. Elles commencèrent à courir, du plus vite qu’elles le purent. Elles se retournèrent mais le loup n’était plus la. Il sortit d’une paroi devant et failli attraper l’une d’elle.

Et l’horizon apparut, elles étaient désormais dans le couloir qui mène à l’accueil du lycée, voilà ou menait le couloir, les portes de la réalité. Mais au fur et à mesure que le froid montait, le couloir commençait à se rétrécir à son tour. Elles glissèrent sur une plaque de glace qui s’était formé sur le sol entier du hall.

Meredith s’écrasa au sol et son nez se mit à saigner. Car c’est de la que provenait le choc de son rêve. Rêve, qui n’était que des bribes de ce qui allait arriver et que Meredith avait oublié. Clara tenta de la réveiller mais celle ci ne bougeait plus. Clara atteint la porte, mit ses mains sur les poignées et tira de toute ses forces.

Verrouillée.

La lune éclairait toujours un ciel sans étoiles. Le loup s’avança vers Meredith dans ce qui était devenu une terre enneigée. Et Clara s’évoqua la loi, seule : « Article 12 : Le monde deviendra aussi froid que nous le sommes avec lui… ».

Meredith leva sa tête de la neige fraîche et la tourna vers Clara. Le loup se tenait assis sur la neige entre elles. Et il les fixait tour à tour. Elles savaient très bien ce qu’il voulait dire, seule une d’entre elle sortirait de ce monde, « Veneanne ». C’est le seul mot qui vint à l’esprit de Meredith en voyant son monde.

Oui, « c’était Veneanne ».

Elles fixaient attentivement le loup, Meredith se leva et Clara comprit ce qu’elle allait faire : un sacrifice. Clara en fit de même, elle s’approcha du loup, et ferma les yeux.

Meredith les ferma aussi et se tourna. Le loup avait devant lui deux personnes dos à lui. Une personne normale y aurait vu un choix à faire. Mais l’Anactaën ne venait pas de leur monde, de Parhadae. Il venait d’un monde enneigé au ciel de Ténèbres, ou le choix n’existe pas.

Le loup avançait et Meredith aussi, sentant son souffle sur ses jambes découvertes. Elle se retrouva bientôt bloquée contre le mur et regarda ce que le loup avait voulu leur montrer avant. Le couloir derrière elles, et l’horloge arrêtée. Si elles auraient su plus tôt...qu’auraient elles fait ?

Clara saisit le loup au collier pour l’empêcher de tuer Meredith, mais elle fut rejetée en arrière par quelque chose et s’évanouit au sol. Son corps gisait désormais dans une neige immaculée et ne bougeait plus. Du sang coulait même de son crane, rendant rouge la neige.

Le loup posa ses pattes avant sur le ventre de Meredith, et il la fixa de ses deux yeux oranges. Le nez de Meredith se mit à tacher la neige blanche de sang. Elle ferma les yeux, le loup lui cachait la vue, mais quand celle ci rouvrit les yeux, elle vit un second loup s’avancer vers elle sur la droite. Il était trop tard pour faire marche arrière désormais. « Désolé Clara ».

Elle se laissa glisser le long du mur et ferma les yeux. Les deux loups saisirent chacun un bras avec leur crocs. Cela fut douloureux au début, mais la douleur s’estompa. Tout était noir dans l’esprit de Meredith, une étendue de Ténèbres. Peut être était elle morte. Et il valait mieux être morte dans ce monde cruel ou elle était pourchassée et montrée du doigt.

Une étendue de Ténèbres…

« Dans son monde à elle.Rien qu’à elle… »

16

Rien ne semblait pouvoir la réveiller. Excepté les écoulements monotones des gouttes qui commençaient à atterrir dans ses yeux et dans sa bouche.

Meredith se réveilla en sursaut, éclairé par le soleil levant qui passait à travers les lucarnes. Elle se leva de joie et se retourna pour réveiller Clara, mais son corps resta froid et inconscient. Meredith mit sa main passa sa main dans les cheveux de Clara et sentit le trou fait par la pierre dissimulée sous la neige.

Meredith ferma quelques secondes les yeux en son honneur, « Article 4 : La mort n’est qu’une étape ». Quand elle les rouvrit, les deux loups se tenaient là, devant elle. Ils parurent reconnaissant de s’être laissée faire.

Les loups fixèrent eux aussi Meredith, avant de s’évanouir dans les dernières zones d’ombres du lycée de Forgotten Lake qui n’avaient pas encore disparues sous les éclats du soleil. Meredith regarda une dernière fois à sa droite, là où le corps de Clara était il y à quelques instants, avant de disparaître comme un mauvais rêve au réveil. Comme si ce n’était qu’un mauvais rêve.

Elle se rendit dans le hall et tomba sur le gardien. Ce visage antipathique qu’elle était plus qu’heureuse de revoir… A sa droite, le soleil saluait son visage, Veneanne n’était plus qu’un vague souvenir enterré sous la neige.

17

Epilogue

A compté de ce jour, tout fut différent. Meredith cessa de se refermer sur elle même et prit contact avec le monde extérieur. Car le loup l’avait rattrapé et traîné jusqu'à ce monde, et c’était désormais la tache dont elle devait s’acquitter.

Apres quelques années, elle oublia cette obscure histoire et recommença une vie meilleure, car elle s’était rendu compte que son monde était beaucoup trop malsain pour y vivre un jour. Le miroir ne céda jamais, et désormais, c’est par pur narcissisme que Meredith se regarde dans la glace. Même si il arrive parfois qu’elle y aperçoive les yeux bleus profonds du second loup au pelage blanc, dont le collier marqué « Clara E. » brillait à la lueur de la lune qui éclairait un ciel sans étoiles, un ciel de Ténèbres qui planait sur un monde à elle, rien qu’à elle.

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Autopergamene

Le Chant des Sirènes

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Le Chant des Sirènes

Published 14 years ago
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Tout système a une faille, même le plus parfait, le mieux pensé, et le plus puissant d’entre eux.

Il existera toujours un détail capable de le faire échouer, quel qu’il soit.

Peu importe le concepteur du système, son but, ou son fonctionnement.

Tout système a une faille, même le plus parfait d’entre eux.

1

Les fenêtres de la salle de classe laissaient passer de minces rayons de soleil, qui se faisaient désormais si rares en ce milieu d’hiver. Ils éclairaient faiblement les couleurs des bureaux, des murs et du tableau vert foncé qui étaient devenues si ternes ces derniers temps. Comme une photo vieillie par le temps, et tendant vers le noir et blanc jour après jour.

Nous étions en fin d’après-midi ce jour-là, et les aiguilles tournaient avec la lenteur dont elles ont le secret ces moments-là.

Meredith les contemplaient, assise à sa place au fond de la classe. Ce n’était pas le meilleur moyen d’être bien vue par le professeur, mais au fond régnait une atmosphère à cents lieues de celle quelques places devant. Il y régnait en particulier une paix plus qu’appréciable. Une paix dont Meredith n’aurait su se lasser.

Le professeur de littérature qui allait et venait dans la salle depuis quelques minutes finit par brandir l’objet tant recherché : un livre jaune sur lequel était inscrit « Le Festin Nu, William Burroughs ».

Meredith relâcha le peu d’attention qu’elle maintenait sur lui. C’était après tout, un livre qu’elle avait déjà lu. L’histoire d’un écrivain drogué, qui d’un soir dans un état second, écrit ces quelques pages. Et qui le lendemain, les retrouve empilées devant lui : des bribes de messages écrites par le plus profond de son subconscient. Un monde intérieur torturé par tout un tas de produits nocifs, et qu’on visite pour la première fois.

« Meredith Berthenson ! » s’écria le professeur devant son tableau. Elle s’empressa de se redresser sur sa chaise et de faire mine attentive. Il resta quelques instants à la regarder, fixement et froidement, murmurant sa petite réplique sarcastique qu’il avait dû prononcer des milliers -voire des millions ?- de fois dans sa carrière. C’est le tableau qu’il faut regarder, pas la fenêtre. C’était peut-être ça, qui manquait à cet homme et sa chemise beige si laide : un vrai sens de la répartie.

Se tendit au bout de ses lèvres un petit sourire lorsque les yeux bleus de Meredith furent enfin tournés vers lui. Ce après quoi il fit claquer discrètement son palet avec sa langue et reprit son discours.

Meredith se pencha un instant vers son amie à sa droite, et lui murmura quelques mots : « Dans notre monde à nous, rien qu’à nous, les profs comme lui seraient pendus haut et court. »

2

La sonnerie retentit, laissant une heure de plus s’achever. Une heure que comme toutes les autres, Meredith avait passé avec la seule personne capable de comprendre son univers chaotique. Elle s’appelait Clara. Jeune adolescente assez petite pour son age, de beaux cheveux blonds et courts, et de pétillants yeux marrons. Et pourtant elle ne faisait pas spécialement retourner les têtes à son passage. Du moins, bien moins que son amie Meredith… plutôt mignonne, de longs cheveux bruns foncés, et quelques formes ni trop prononcées, ni pas assez.

Oui, peu importe ce que les gens médisaient, Clara et Meredith étaient de jolies filles. Mais elles avaient un point commun, cette malédiction de rejeter un monde qui les rejetait. Elles s’étaient coupées des autres depuis déjà bien longtemps, et avaient fini par être surnommées « les deux lesbiennes ». Celles qu’on croise et salut, mais dont on n’apprend jamais plus que le nom et le prénom.

Voilà pourquoi elles étaient si seules… La vie par le vide.

Elles s’assirent sur un banc sur lequel elles avaient l’habitude de venir passer du temps au calme. Il était situé dans un de ces petits parcs annexés au bâtiment. Des forets qui entouraient le lycée de toute part, et que personne n’avait voulu abattre pour construire le lycée. Alors il avait été construit plus loin de la ville, beaucoup plus loin : là où il y eut enfin de la place. Quelques grillages histoire de délimiter la propriété de Mère Nature, et la propriété de l’Homme ; et l’affaire fut réglée.

Il ne faisait pas chaud aujourd’hui. C’était un mois de novembre, après tout. A peine quittées les lourdes chaleurs de l’été, que la neige avait déjà recouvert par mince couche le sol. Les pulls quant à eux avaient recouvert les débardeurs, les jeans avaient remplacées les jupes ; et les larges sourires des gens avaient laissé place à ces sourires en-coin qui se glissent sur les lèvres gercées de ces gens dont le cœur est soudainement empoigné par le froid.

Les deux jeunes filles furent sorties de leurs pensées par un autre de ces tyrans qui prenaient plaisir à les maltraiter. Un large pull marron sur le dos, il se contenta de passer en coup de vent devant elles pour leur claquer les joues à son passage.

En vain, certes ; mais l’acte n’était gênant, que parce que si fréquent…

A quelques mètres de là, derrière les grillages du lycée, une autre personne observait la scène avec un intérêt certain. Là, de ses petits yeux oranges et blancs. C’était un chien ; ou un loup peut-être, simplement égaré dans les forets. Quelque chose dans ses yeux ressemblait à du mépris envers cet homme. Ou peut-être envers toutes les personnes présentes derrière ce grillage.

Non. Pas toutes, pas les deux jeunes filles sur lesquelles ses yeux perçants se posèrent après quelques instants. Il ne les dévisageait pas, ou du moins, pas de la même manière.

Sa tête se redressa et un hurlement sortit de sa gueule levée vers le ciel. Le classique chant du loup, qu’on imite aux enfants sous leurs couettes pour leur faire peur.

Le Grand Méchant Loup, qui casse les portes fermées pour dévorer les enfants apeurés.

Meredith et Clara n’osèrent réagir à ce hurlement. Tout le monde s’était retourné, tout le monde regardait ce loup égaré avec compassion ; mais dans le fond tout le monde était content que le grillage soit là.

Le loup resta à hurler encore quelques minutes. Pour rejoindre ces gens dans leur petit monde, de l’autre coté du grillage.

Ou simplement hurler pour les attirer, dans son monde à lui, rien qu’à lui.

Meredith se pencha vers son amie, et sans quitter des yeux le loup -comme hypnotisée-, elle lui murmura quelques mots à l’oreille.

« Dans notre monde à nous, rien qu’à nous, ce loup chasserait les in-méritants. ».

3

Apres la pause, toujours trop courte, pas assez longue pour réellement réfléchir, s’en suivit de nouvelles heures études. Que de temps à étudier la mort, la guerre, la violence. Ecrite ou imagée. Pourquoi une telle fascination ? Clara ne pouvait s’empêcher de se dire à chaque fois que si un esprit pouvait tout changer, le monde serait meilleur pour tous, du moment que c’est un esprit réfléchi. Il suffirait de supprimer les armes, supprimer les drogues, et des tas d’autres idées utopiques qui n’arrivent que dans les têtes des jeunes étudiantes qui à défaut de pouvoir penser à l’amour, pensaient à tout ce qui reste.

Il faut un esprit réfléchi pour changer le monde, et ni Clara ni Meredith n’en avait réellement. Personne n’en avait réellement. Mais les vraies amies se comprennent sans la parole. Meredith se tourna vers Clara et après quelques secondes à déchiffrer son regard, elle prononça : « Dans notre monde à nous, rien qu’à nous, tout serait comme nous l’avons voulu. ».

Clara hocha la tête avec une pointe d’amertume et pensant que cette idée, parmi les centaines d’articles qu’elles ajoutait depuis des années, était sûrement la pire de toutes.

4

Quand enfin la dernière sonnerie de la journée retentit, le crépuscule tendait déjà son voile sombre au dessus du lycée. Les élèves sortaient tous par la porte principale, marchant dans ce long couloir intérieur qui mène à la vraie porte. Celle qui mène au monde extérieur. Peu de gens savaient à quoi servait vraiment ce couloir. La vraie réponse était simplement qu’il aurait dû y avoir des choses, sur ces murs blancs.

Mais il n’y avait jamais rien eu, et le couloir resta là, sans but précis.

Clara et Meredith se saluèrent et partirent chacune d’un côté. Avec le même regret qui accompagnait ce moment chaque jour. Meredith n’avait pas de bus, elle rentrait chaque jour à pied. Six kilomètres qui menaient à une maison construite le long d’une petite route. Il n’y avait pas d’autre lycée aux alentours ; et à y bien réfléchir, il n’y avait pas grand chose aux alentours de cette demeure jaune pâle dressée entre les arbres, tenant tête à la nature du haut de ses deux étages.

Clara marcha vers l’arrêt de bus comme elle le faisait chaque soir. Montant la première, elle se dirigea vers le fond pour y trouver sa place à elle, rien qu’à elle. Celle qui la rejoignait chaque soir de semaine, où elle se posait en étant sûre de ne pas être dérangée.

La tête appuyée contre la vitre, ressentant chaque vibration du gros véhicule, elle regardait le monde défiler à toute vitesse. Des endroits qu’elle ne visitera pas, et des gens qu’elle ne connaîtra pas.

Des gens attendant leurs bus, se tenant debout dans le froid, et croisant l’espace d’un instant le regard froid de Clara de l’autre coté de la vitre.

Son si froid regard à elle, rien qu’à elle.

5

La nuit était tombée et les étoiles brillaient désormais dans le ciel. Clara et Meredith dormaient désormais profondément.

Clara, d’un sommeil profond et sans rêve, d’une immensité de Ténèbres ou Clara se plaisait à dire par moment que si elle rêvait de cela, c’est qu’elle était peut-être morte. Elle se demandait si il ne valait pas mieux être morte, dans ce monde cruel et impitoyable ou elle et Meredith étaient rejetées, montrées du doigt et huées par les foules. Alors par moment, au cœur d’une nuit noire, Clara s’imaginait morte, et par moment, au cœur d’une nuit noire, elle mourrait intérieurement sans réellement s’en rendre compte.

C’était sa manière à elle, rien qu’à elle, de s’endormir.

Meredith, dormait aussi dans sa chambre, mais elle avait tout autre chose en tête. Elle n’était pas aussi ‘suicidaire’ mentalement que son amie.

Et en ce moment même, elle rêvait profondément d’un couloir. Un couloir dont jamais la fin ne se dessinerait à l’horizon. Meredith courrait dans ce couloir, poursuivie par une quelconque créature qui voulait à tout prix la rattraper. Et tout comme ce que pensait Meredith dans ce rêve, la créature symbolisait le monde extérieur qui tentait tant bien que mal de la sortir du gouffre profond dans lequel elle tenait à s’enfoncer de plus en plus jour après jour. C’était son chant des sirènes. Mais Meredith ne céderait pas, elle ne rejoindrait pas les sirènes d’un monde autre que le sien.

Meredith voulu se retourner pour voir si la créature était toujours après elle, mais elle n’y était plus. Et à ce moment la, elle sentit son visage qui s’écrasait violemment contre le mur qui ne devait jamais se dessiner à l’horizon. Le nez de Meredith se mit à saigner de lourdes gouttes rouges foncées qui lui paraissait être une part d’elle même qui s’échappait, pour rejoindre les sirènes.

Meredith s’assit sur le sol et respira lentement. Pendant un instant, elle eut la vague impression que ces gouttes de sang avaient réellement rejoint le monde extérieur et s’écoulaient sur son oreiller.

L’attention de Meredith fut détournée par un loup qui bondit hors du mur, sans réelle logique, il se contenta de « bondir » à travers la paroi. Il s’avança vers elle en boitant un peu de la patte arrière. Au fur et à mesure que le loup avançait, le couloir autour d’elle changeait, « rétrécissait », c’était un des couloirs de son lycée.

Le loup fixait Meredith de ses magnifiques yeux oranges. Elle toucha son pelage grisonnant et le caressa en restant sur ses gardes. Elle ne risquait rien dans un rêve, mais cela avait l’air si réel. Elle remarqua que le loup avait un collier en argent. Elle le prit délicatement et en déchiffra les quelques syllabes complexes : « Anactaën ».

6

Lorsque Meredith se réveilla, elle sortit de son lit, et alla devant sa glace. Elle prenait toujours quelques minutes pour se regarder en face, droit dans les yeux. Ensuite, elle posait ses mains sur la glace et poussait, chaque jour encore, pour qu’un jour la vitre disparaisse et qu’elle arrive enfin dans son monde à elle, rien qu’à elle.

Mais ce jour la n’était pas encore arrivé. Elle se coiffa vaguement, s’habilla, essuya le sang qui avait coulé de son nez dans la nuit, mangea quelque chose en vitesse et sortir du 127 de sa rue.

Elle se rendit devant le panneau bleu ou le bus s’arrêtait pour la prendre. Une autre journée qui commençait. Elle n’allait pas être si différente des autres : Lundi ? Mardi ? Mercredi ? Quel est l’intérêt si il se passait la même chose jour après jour. Des idées en plus, et de la joie en moins. Comme un cycle malsain dont le seul objectif serait de faire mourir de malheur Meredith et Clara.

Mais lorsque le crépuscule tomba, plus tôt que d’habitude, Meredith et Clara n’étaient pas dans le bus, ni en train de se dire au revoir.

Elles étaient réfugiés dans les vestiaires des filles pour échapper à un autre tyran qui prenait plaisir à faire le mal autour de lui et qui les avait forcé à se retrancher ici.

Elles restèrent là, recroquevillées dans un coin des douches. Le carrelage froid gelait peu à peu leur membres et elle ne sentait plus que leur visage qui aspirait l’air.

Elles attendirent longtemps, qu’il n’y ait plus aucun bruit. Elles finirent par prendre racine, le froid les avait complètement gelé. Elles auraient aimé rester ici pour l’éternité, sans se soucier du reste et de ce qui pouvait se passer dans le monde extérieur.

Meredith fixa longuement le mur d’en face, sans réellement y penser. Et d’une voix calme elle prononça : « Dans notre monde à nous, rien qu’à nous, le temps se serait arrêté ».

Clara fut surprise par ce nouvel article, mais ses yeux se fermaient peu à peu et son esprit cessait de fonctionner pour mourir intérieurement, peut-être extérieurement.

Meredith resta seule avec elle-même. Quand elle comprit que son amie était devenue inconsciente et qu’elle dormait d’un profond sommeil, qu’elle comprit que plus aucun bruit ne résonnerait pour de longues heures, Meredith ferma les yeux à son tour.

Dans la plénitude du silence, leur deux corps ne devinrent plus qu’une ombre dans les lumières qui s’éteignaient peu à peu. Et sans qu’elles s’en rendent réellement compte, elles s’embrassèrent, seules pour l’éternité.

« Dans un monde à elles.

Rien qu’à elles… »

7

Rien ne sembler pouvoir un jour les réveiller, si ce n’est l’eau des douches qui se mettait à couler, lentement, par petits à-coups. Lorsqu’elles commencèrent à en recevoir dans les yeux et la bouche, leur sommeil se stoppa de lui même.

Le silence pesait plus que jamais, excepté le bruit monotone des gouttes qui tombaient. Elles se relevèrent et s’essuyèrent le visage, sans réels souvenirs de ce qui venait de se passer ces dernières heures, même si le goût des lèvres de l’une restait sur l’autre.

Elles sortirent des douches, les zones d’ombres couvraient toutes les surfaces et la seule lumière qui éclairait encore les couloirs du lycée, c’était celle de la lune sans étoiles qui rayonnait à travers les lucarnes.

Tout était désert, plus un son, plus un mouvement. Elles coururent vers le hall d’entrée, leur mains s’agrippèrent aux poignées, mais il était trop tard : les portes étaient déjà closes…

La longue nuit ne venait que de pointer son museau grisonnant au tournant, il allait falloir attendre le gardien qui n’arriverait qu’à l’Aube, pour que quelqu’un daigne ouvrire ces portes. Elles restèrent les mains collés à la vitre, à fixer l’extérieur de leur yeux qui s’emplissaient de larmes. C’est plus que jamais que pour une fois, Meredith aurait aimé repasser la vitre qui mène au monde extérieur, plutôt que de vouloir le quitter.

Alors elles se mirent en marche. Elles erraient sans réel but, sans réel objectif. Clara fit la remarque, le souhait, qu’il restait peut être encore quelqu’un dans l’Administration qui faisait des heures supplémentaires.

Chance perdue d’avance, mais il fallait bien essayer.

Le lieu qu’elles côtoyaient jour après jour n’était plus le même, sans ses organes. Un squelette de lycée sans âme, sans vie. Elles arrivèrent enfin devant la porte qui menait à l’Administration, elles ouvrirent mais c’était vide, plus personne n’était là.

Clara marcha vers le fond, mais les autres salles étaient vides aussi. Meredith remarqua une affiche qui traînait sur une table dans la salle de la machine à café : « Ce soir dans le théâtre : « Un Arbre et un Jardin » adapté du récit de Derreck H. ».

Meredith tendit l’affiche envers Clara, elle se fixèrent un long moment.

Chance perdue d’avance, mais il fallait bien essayer.

Quand la main de Meredith se posa sur la poignée de la porte du théâtre, elles prirent toutes deux une grande inspiration et la porte s’ouvrit en grand. Et l’air qui était entré en elles s’échappa d’un petit jet sec. Leur yeux s’agrandirent, et sous leur regard vidés par la peur, s’étendait une étendue de corps, morts.

8

Leur corps bougeaient, ballottés par les courants d’airs qui semblaient sortir de nul part. Et malgré cette agitation, leur corps restaient fades et sans vie.

Cela venait sûrement aussi du mouvement de balancier provoqué par les cordes qui soutenait les cous des professeurs du lycée. La question de qui aurait pu commettre telle horreur, ou de comment ne venait pas à l’esprit des jeunes filles. Elles ne voulaient pas savoir.

Meredith se retourna pour partir. Mais Clara ne bougea pas. Quand Meredith posa sa main sur son épaule, Clara prononça « Dans notre monde à nous, rien qu’à nous, les professeurs n’existeraient plus. ».

Meredith arrêta de tirer l’épaule et relâcha son emprise. Tout venait de s’effondrer, toute logique, tout semblant de vraisemblance dans ce qu’elles voyait. Il n’y avait plus de « Qui ? » ou de « Comment ? ». Leur lois étaient leur lois. Leur corps devenaient statiques. A la limite de la catatonie, elles refusaient d’y croire, et elles ne bougeraient plus jusqu'à ce que le jour les réveille dans leur lit.

Mais la réalité n’est jamais comme on le voudrait, ce qui lui donne ce charme si amer. Un courant d’air passa, qui allait de la scène à la porte, comme si une main sans force avait voulu les pousser vers la sortie. Leur jambes commencèrent à faire demi tour sans qu’elles s’en rendent réellement compte.

9

La double porte se referma et les hurlements au fond de leur pensées cessèrent. Ce n’était qu’un simple rêve et elles étaient endormies dans les douches voilà tout. Elles se plaisaient à croire à cette idée, c’était la dernière chose de concrète à laquelle elles pouvaient encore se raccrocher : les profondeurs des rêves et du subconscient.

Elles en parlèrent un peu entre elles, pour se rassurer. Ce fut d’ailleurs le seul son qui rompit le silence. Avant qu’il ne se rompe a nouveau de lui même. Des bruits de pas, plutôt des bruits de griffes qui tapaient sur le sol, a intervalles régulières. Clara ne bougea pas, mais Meredith commença à reculer. Les bruits de griffes se rapprochèrent.

Meredith saisit Clara par la main et tira pour la faire reculer. Elles s’étaient déjà écartées d’un mètre de la porte, pas par pas. Clara se retourna vers Meredith pour lui demander pourquoi elle voulait partir. Mais elle ne vit que Meredith qui saignait du nez et rependait des taches rouges foncées sur la moquette. C’était comme ça depuis qu’elle avait sept ans, depuis que… non, ne pas y repenser. Mais depuis ce jour, dès que Meredith avait peur, son nez saignait, pour que Meredith s’échappe intérieurement par petites gouttes et oublie ce qui se passe sous ses yeux. Pour ne pas penser à ce que son père lui faisait ce jour là...

Elle revint à la réalité, car ça y est, on commençait à percevoir les halètements du loup qui montait marche à marche vers la porte. Meredith ferma les yeux, tourné dos a la porte. Elle compta jusqu'à trois avant de tirer violemment Clara pour fuir au loin. Clara aperçu vaguement, avant que Meredith ne l’entraîne, la silhouette d’un loup qui bondit à travers la porte comme un fantôme de film. Comme si c’était un film.

La poursuite continua à travers les couloirs, le loup gagnait du terrain et était à quelques centimètres des jeunes filles. Clara tapait tant bien que mal sur lui avec son sac mais rien n’y faisait. Il y eut seulement, un soudain craquement avant que le loup ne s’étale. Sa patte arrière s’était cassée sous la pression et le poids du loup, qui s’étala de tout son long sur le sol. Il se traîna encore quelques centimètres, et ne bougea plus. Sa pupille devint plus petit et il se raplatit sur lui même comme un simple chien endormi, qui fixait les jeunes filles de ses deux billes noires-orangées.

Meredith et Clara s’arrêtèrent. Meredith parut réfléchir, elle se mit à genoux et s’approcha peu à peu du loup pour le caressa avec précaution le long de son pelage grisonnant. Puis elle ferma les yeux, et saisit le collier en argent avant d’en prononcer les syllabes sans les lire : « Anactaën » : « Le loup qui chasserait les in-méritants. ».

Clara se mit à genoux et regarda avec tristesse le loup. Puis elle s’adressa à lui directement, en lui demandant en quoi elles étaient in-méritantes. Celui ci voulu leur montrer quelque chose du bout du museau, quelque chose derrière elles, mais elles ne remarquèrent rien d’étrange.

Elles se relevèrent et partirent à la recherche d’une issue, pendant que le loup restait sans bouger, tapis au fond de l’ombre du couloir. Ses larmes coulaient le long de son museau et s’éclatèrent au sol comme on briserait un mauvais souvenir. Comme si ce n’était qu’un mauvais souvenir.

10

Tout les couloirs se ressemblaient, et toutes les portes étaient closes. Il n’y avait toujours pas d’étoiles dans le ciel noir, dans ce ciel de Ténèbres. Elle s’assirent sur le Banc des Songes, pas celui près du bois, car on ne pouvait y accéder que par les portes extérieures. C’était un autre banc, en bois, dans un petit couloir étroit entre deux salles de classes. Le meilleur endroit était ici, à attendre que le gardien revienne avec le soleil derrière son dos.

Elles étaient assises depuis plusieurs minutes et se tenaient entre leur bras pour se réchauffer. L’air commençait à devenir vraiment froid. Clara entama la conversation :

  • Meredith.
  • Quoi ? dit-elle sans réellement écouter ce qu’allait lui dire Clara, car elle repensait sans cesse à son rêve de la veille.
  • Le loup, et les pendus, tu crois vraiment qu’ils sont sortis de notre monde ?
  • Possible…

Il y eut un léger « bip » rapide, encore et encore. Clara sortit de son sac un téléphone portable. Quand Meredith l’aperçut, elle y vit alors une chance inespérée de s’en sortir et se demanda pourquoi Clara ne l’avait pas sortit avant. Clara décrocha mais la ligne était vide, juste un grésillement de plus en plus fort. Mais à peine avaient t-elles compris la suite des évènements, que le loup traversait déjà le mur entre leur deux têtes. Celui ci n’eut pas réellement le temps de morde qui que ce soit, son corps traversa le mur d’en face et il se retrouva dans la salle d’anglais.

Meredith et Clara coururent du plus vite qu’elles purent, en cherchant un endroit ou se cacher. Le loup sauta à travers la porte de la salle et se remit à pourchasser les jeunes filles. Pas en courant, juste en suivant à la traces les gouttes de sang qui s’écoulaient du nez de Meredith.

Les pires mondes ont leur lois, « Article 41 : Les Intrus n’auraient aucune chance de survie. ».

11

La porte métallique des cuisines s’ouvrit une fraction de seconde le temps de laisser passer les deux ombres fugitives. Clara referma et teint de toutes ses forces le verrou métallique de la porte. Meredith jeta un œil et aperçut un museau grisonnant qui pointait déjà au bout du couloir.

Elles se tenaient des deux cotés de la porte. Le bruit du loup qui boitait vers elles se faisait de plus en plus fort. Son museau passa à travers la porte et renifla un peu les alentours. Puis il repartit, étrangement. Meredith vit le loup s’éloigner vers là d’ou il était venu. Clara demanda si il ne les avait pas vu. Mais Meredith secoua la tête, car le loup se retourna une dernière fois vers Meredith, et détourna le regard. « Peut être, peut être qu’il ne nous considère plus comme des in-méritantes… ».

Meredith s’assit sur le carrelage, adossée à un placard de rangement métallique. Clara ressortit son téléphone et tenta d’appeler n’importe qui. La police, les pompiers, même ses pires ennemies. Mais aucun appel n’aboutissait, aucune tonalité. Clara jeta son téléphone au sol et évoqué une des premières lois de leur mondes : « Article 1 : Aucun contact avec le monde extérieur. ».

Clara s’assit à coté de Meredith. Elles fixèrent attentivement leur reflets sur le placard métallique d’en face, leur ombre déformée. Toutes ces lois qu’elles avaient mise au point se retournaient contre elles, et elles se rendaient compte à quel point ces règles étaient stupides et mal pensées.

« Meredith…sanglota Clara au bord des larmes.

  • Quoi ?
  • On va mourir ici n’est ce pas ?
  • Oui, car on s’est trompé…
  • Trompé sur quoi ? dit Clara en relevant la tête de ses mains.
  • Ce n’est pas le loup qui est venu dans notre monde, c’est nous qui venons de pénétrer dans le sien…
  • On est considérées…comme des intruses alors…
  • Hier soir, j’ai rêvé, j’ai rêvé que ce loup serait la bête qui symbolise le monde extérieur. Et il nous pourchasse depuis bien plus longtemps qu’aujourd’hui. Et désormais c’est sa dernière chance de nous ramener vers le monde extérieur, car après nous serons mortes.
  • Tu veut dire, qu’il veut nous ramener aux autres ?
  • En quelques sortes... »

Elles réfléchirent encore un peu. Pourquoi ne pas céder au loup alors ? Sûrement parce que le loup symbolisait quelque chose d’effrayant au regard de n’importe quel être humain, et que si il devait ramener quelqu’un à la réalité, cela se ferait dans la souffrance et le sang.

Ca y est, elles venaient de découvrir l’étendue malsaine de leur mondes à elles, rien qu’à elles. Sans le dire, leur esprit passait en revue toutes les lois, pour voir si il n’y en aurait pas une qui pourrait les aider. Mais évidemment que non, car dans le fond « on allait tous mourir ici ».

« Pardon ? » fit Clara sur le point de s’endormir.

Meredith fixait toujours son reflet dans le métal.

« On va mourir ici.

  • Oh…y a t-il une chance que quelqu’un vienne nous sauver ?
  • Même le soleil ne viendra jamais pleurer nos corps. Nous ne verrons jamais la couleur de l’aube qui arrive.
  • Pourquoi tu dis ça ?
  • « Dernier Article : Dans notre monde, le temps se serait arrêté… »

Elles s’endormirent, dans un lycée encore plus froid qu’auparavant. Peut être mourraient elles de

froid avant même que quelque chose ne se passe, comme ça, dans leur sommeil. C’était la meilleure des morts du monde. Mais ce monde n’était pas le leur.

13

Même sans notion de temps, elles sentaient que le monde autour d’elles changeait, variait, « rétrécissait ». Tout paraissait plus restreint. Meredith et Clara s’étaient assoupies, et leur reflet disparaissait au fur et à mesure que la salle rétrécissait pour de bon. Quelque chose les réveilla, un bruit de craquement. Clara ouvrit vaguement les yeux, ce bruit c’était celui des cloisons de bois qui se brisaient sous la pression du monde qui bouge. Les plus faibles craquent en premier.

Clara saisit le bras de Meredith et se dépêcha de la réveiller. Elle prenait peur.

Meredith vit soudainement sa propre image qui avançait vers elle, son reflet de métal qui se précipitait pour l’écraser. L’autre coté du miroir qui ne veux plus d’une Meredith renfermée et seule.

Elle se leva et se mit a courir, tant bien que mal vers une éventuelle issue, mais chaque seconde réduisait les issues. Et bientôt il n’y en eut plus une seule.

Alors elles s’arrêtèrent. Et fixèrent les murs qui se réduisaient pour les écraser entre leur béton. Meredith s’assit au sol pendant Clara s’affolait et cherchait une issue. « Dans notre monde, tout serait comme nous l’avons voulu. »

Et sans que quelque chose de réel se produise, la salle arrêta de rétrécir, et les corps de Meredith et Clara s’écroulèrent au sol, dans les taches rouges formées par les « petits bouts » de Meredith qui s’étaient écoulés.

14

Ou pouvait elles bien être ? Il n’y avait aucune lumière, aucun son. Juste une étendue infinie de Ténèbres. Clara se revit alors dans son cercueil, étaient elles mortes ? Probablement pas. Meredith ne se sentait pas « morte ». Elle se sentait extenuée, de courir, de penser, de faire quelque chose. Elle voulait manger, boire, voir sa famille et quitter ‘son’ monde qu’elles avaient élaboré. Et qui tombait désormais en ruines devant leur yeux…

15

Elles avaient désormais horriblement froid, signe qu’elles étaient mortes ? Non, quand elles ouvrirent leur yeux, après quelques secondes à s’habituer à la lumière, elles virent un long couloir dont la fin ne se dessinerait jamais à l’horizon.

On pouvait déjà percevoir les bruits de pattes de l’Anactaën derrière elles. Elles commencèrent à courir, du plus vite qu’elles le purent. Elles se retournèrent mais le loup n’était plus la. Il sortit d’une paroi devant et failli attraper l’une d’elle.

Et l’horizon apparut, elles étaient désormais dans le couloir qui mène à l’accueil du lycée, voilà ou menait le couloir, les portes de la réalité. Mais au fur et à mesure que le froid montait, le couloir commençait à se rétrécir à son tour. Elles glissèrent sur une plaque de glace qui s’était formé sur le sol entier du hall.

Meredith s’écrasa au sol et son nez se mit à saigner. Car c’est de la que provenait le choc de son rêve. Rêve, qui n’était que des bribes de ce qui allait arriver et que Meredith avait oublié. Clara tenta de la réveiller mais celle ci ne bougeait plus. Clara atteint la porte, mit ses mains sur les poignées et tira de toute ses forces.

Verrouillée.

La lune éclairait toujours un ciel sans étoiles. Le loup s’avança vers Meredith dans ce qui était devenu une terre enneigée. Et Clara s’évoqua la loi, seule : « Article 12 : Le monde deviendra aussi froid que nous le sommes avec lui… ».

Meredith leva sa tête de la neige fraîche et la tourna vers Clara. Le loup se tenait assis sur la neige entre elles. Et il les fixait tour à tour. Elles savaient très bien ce qu’il voulait dire, seule une d’entre elle sortirait de ce monde, « Veneanne ». C’est le seul mot qui vint à l’esprit de Meredith en voyant son monde.

Oui, « c’était Veneanne ».

Elles fixaient attentivement le loup, Meredith se leva et Clara comprit ce qu’elle allait faire : un sacrifice. Clara en fit de même, elle s’approcha du loup, et ferma les yeux.

Meredith les ferma aussi et se tourna. Le loup avait devant lui deux personnes dos à lui. Une personne normale y aurait vu un choix à faire. Mais l’Anactaën ne venait pas de leur monde, de Parhadae. Il venait d’un monde enneigé au ciel de Ténèbres, ou le choix n’existe pas.

Le loup avançait et Meredith aussi, sentant son souffle sur ses jambes découvertes. Elle se retrouva bientôt bloquée contre le mur et regarda ce que le loup avait voulu leur montrer avant. Le couloir derrière elles, et l’horloge arrêtée. Si elles auraient su plus tôt...qu’auraient elles fait ?

Clara saisit le loup au collier pour l’empêcher de tuer Meredith, mais elle fut rejetée en arrière par quelque chose et s’évanouit au sol. Son corps gisait désormais dans une neige immaculée et ne bougeait plus. Du sang coulait même de son crane, rendant rouge la neige.

Le loup posa ses pattes avant sur le ventre de Meredith, et il la fixa de ses deux yeux oranges. Le nez de Meredith se mit à tacher la neige blanche de sang. Elle ferma les yeux, le loup lui cachait la vue, mais quand celle ci rouvrit les yeux, elle vit un second loup s’avancer vers elle sur la droite. Il était trop tard pour faire marche arrière désormais. « Désolé Clara ».

Elle se laissa glisser le long du mur et ferma les yeux. Les deux loups saisirent chacun un bras avec leur crocs. Cela fut douloureux au début, mais la douleur s’estompa. Tout était noir dans l’esprit de Meredith, une étendue de Ténèbres. Peut être était elle morte. Et il valait mieux être morte dans ce monde cruel ou elle était pourchassée et montrée du doigt.

Une étendue de Ténèbres…

« Dans son monde à elle.Rien qu’à elle… »

16

Rien ne semblait pouvoir la réveiller. Excepté les écoulements monotones des gouttes qui commençaient à atterrir dans ses yeux et dans sa bouche.

Meredith se réveilla en sursaut, éclairé par le soleil levant qui passait à travers les lucarnes. Elle se leva de joie et se retourna pour réveiller Clara, mais son corps resta froid et inconscient. Meredith mit sa main passa sa main dans les cheveux de Clara et sentit le trou fait par la pierre dissimulée sous la neige.

Meredith ferma quelques secondes les yeux en son honneur, « Article 4 : La mort n’est qu’une étape ». Quand elle les rouvrit, les deux loups se tenaient là, devant elle. Ils parurent reconnaissant de s’être laissée faire.

Les loups fixèrent eux aussi Meredith, avant de s’évanouir dans les dernières zones d’ombres du lycée de Forgotten Lake qui n’avaient pas encore disparues sous les éclats du soleil. Meredith regarda une dernière fois à sa droite, là où le corps de Clara était il y à quelques instants, avant de disparaître comme un mauvais rêve au réveil. Comme si ce n’était qu’un mauvais rêve.

Elle se rendit dans le hall et tomba sur le gardien. Ce visage antipathique qu’elle était plus qu’heureuse de revoir… A sa droite, le soleil saluait son visage, Veneanne n’était plus qu’un vague souvenir enterré sous la neige.

17

Epilogue

A compté de ce jour, tout fut différent. Meredith cessa de se refermer sur elle même et prit contact avec le monde extérieur. Car le loup l’avait rattrapé et traîné jusqu'à ce monde, et c’était désormais la tache dont elle devait s’acquitter.

Apres quelques années, elle oublia cette obscure histoire et recommença une vie meilleure, car elle s’était rendu compte que son monde était beaucoup trop malsain pour y vivre un jour. Le miroir ne céda jamais, et désormais, c’est par pur narcissisme que Meredith se regarde dans la glace. Même si il arrive parfois qu’elle y aperçoive les yeux bleus profonds du second loup au pelage blanc, dont le collier marqué « Clara E. » brillait à la lueur de la lune qui éclairait un ciel sans étoiles, un ciel de Ténèbres qui planait sur un monde à elle, rien qu’à elle.

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