Autopergamene

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Le Coeur des Ténèbres

Published 14 years ago
9mn to read

Le temps efface tout, tant et si bien, qu’au final il ne reste plus que les ténèbres

Stephen King – « La Ligne Verte »

Dimanche 07 mars

Ce que vous êtes en train de lire est le début de mon histoire. Je n’ai aucune idée précise de ce que contiendra ce journal mais, hé, qui sait, peut-être un jour vaudra-t-il de l’or ?

Ma foi, autant espérer que de partir sur de mauvaises bases. Bref, ceci sera le récit de ma vie au jour le jour. Aussi trépidante ou pas soit-elle.

Mais j’en oublie la politesse. Je m’appelle Steve. Je ne pense pas qu’il soit utile d’en dire plus. Il est déjà tard, je crois que je vais aller me coucher. Je sais que cette introduction est réellement minable mais j’ai pas mieux.

Toi lecteur, à demain.

Lundi 09 octobre 1994

Putain ! C’est dans ces moments là que je me dis que préciser l’année aurait été utile. Et pour cause, cela fait trois ans que je n’avais pas ouvert ce journal ! Je crois que je n’avais jamais vu les mots « A demain » prendre un sens aussi spécial. Bon, je vais marquer la date en entier cette fois.

Il s’en est passé des choses en trois ans, toujours est-il que ma femme Avril avait rangé ce journal dans un carton ; carton qui a fini dans le grenier. Ah, si je n’avais jamais été voir là haut, qui sait ce que ce journal serait devenu ?

Enfin, revenons à nos moutons, tant que j’ai encore ce livre en main. Et cela tombe bien, car hey, il m’arrive quelque chose d’intéressant aujourd’hui. C’est si rare. J’ai reçu une lettre anonyme aujourd’hui. Elle n’est pas signée, ni ornée d’un quelconque signe de distinction (c’est le propre d’une lettre anonyme me direz-vous). La personne (on va l’appeler Bob, héhé) s’adresse apparemment à tout un tas de gens. La lettre est quelque-peu confuse, d’autant plus qu’il en manque de nombreux passages. Bob parle d’être « conscient » de quelque chose, de vouloir laisser une trace ou un truc comme ça.

Toujours est-il que dans sa lettre (qui, il semblerait, serait plus une sorte de patchwork de passages sans queue ni tête), Bob dit clairement être bloqué dans une ville, et réclame de l’aide.

Je ne sais pas vraiment quoi dire… je sais que je n’ai peut-être pas retrouvé ce journal aujourd’hui par hasard. Je sens au fond de moi que je dois aller aider Bob.

Et puis ça pourrait faire un très bon livre : « Comment j’ai sauvé Bob des griffes de Allenski ». C’est le nom de la ville. Je vais faire quelques recherches et boucler mes valises.

Aventure, me voilà !

Jeudi 12 octobre 1994

Bonjour lecteurs !

Après moult recherches il semblerait que Allenski soit une ville au milieu d’un massif de montagnes, lui-même quelque-peu perdu. Le plus dur fut en fait de trouver un moyen d’y aller. Il y a bien une vieille route qui traverse la montagne et ses villages, la route n°83, mais elle serait apparemment impraticable.

Par contre, il reste une vieille voie ferrée qui mène au cœur du village. Ça doit être mon jour de chance.

Enfin, j’ai pris un ticket aller-retour pour là-bas (pas donné le ticket, soit dit en passant), et je pars demain matin.

Je – je crois que je vais arrêter là, Avril vient de se réveiller à cause de la lampe du bureau.

Vendredi 13 octobre 1994

J’écris sur les bancs de la gare. En fait le train a du retard, ceci explique cela. J’ai laissé un mot à Avril expliquant que je reviendrai dans quelques jours. Ah… j’espère qu’elle ne s’inquièteras pas trop, elle ne semblait pas aller très bien ces derniers temps.

Mon dieu, j’espère que je ne fait pas une grosse erreur en partant aujourd’hui au lieu de rester auprès d’elle, apr

Je crois que mon train vient d’arriver. C’est un vieux train qui ne m’a pas l’air dans le meilleur état qui soit. Après tout, il ne faut pas se fier aux apparences, je vais monter et j’écrirai depuis l’intérieur.

Je… suis seul. C’est la première fois que je prend un train tout seul. Enfin, le contrôleur m’a paru sympathique, je suis en règle.

Ma foi, je vais piquer un somme et. Et je verrai plus tard. Ou si je n’arrive pas à dormir, je vous décrirai le paysage.

Si je ne l’avais pas vu de mes yeux, je crois que jamais je n’aurais cru qu’il existe en ce pays des étendues si vides. Nous avons traversé d’immenses plaines et longé une montagne pour enfin arriver à l’entrée du massif. Je dois l’avouer, ce fut un long voyage. Quatre longues heures de train dans le vacarme que ce tas de ferraille produite en permanence.

Enfin, toujours est-il que nous (pourquoi j’écris nous d’ailleurs, je suis tout seul) avons passé l’entrée du massif il y a peu, et je jurerai avoir aperçu la route 83 à un moment.

Autant ne pas le cacher, ce sera une joie de sortir de ce truc (qui roule par un miracle, pas possible autrement). Ce train est une plaie. Je me doute que c’est peut-être un des derniers (sinon le seul ?) à encore traverser ce massif de montagnes, mais là vraiment…

En tout cas ce fut un voyage un peu perturbé, comment dire, « secoué ». Je crois que ce train a été construit avant qu’on pense au confort dans les trains. Ha ha, oui, je crois que ça résume bien le fond de ma pensée et ce qu’on peut endurer en faisant ce voyage. D’autant pl

Ça y est, le bruit infernal que fait cette chose en s’arrêtant vient de se finir. Bordel… mes oreilles en seront marquées à vie. Je crois que je vais descendre de ce train et lui lancer un genre de malédiction pour qu’il revienne jamais. Oui… qu’on m’envoie un autre train, si je dois refaire le même trajet dans le même train, je crois que je risquerai de faire quelque chose de regrettable.

Je

Le contrôleur me dit de descendre.

Me voilà sur un banc de la gare. Je n’ose décrire. Ça ne se voit pas là, mais ma main tremble. La gare est… comment dire, vide ? Personne. Strictement personne.

Mon dieu, je crois que j’ai peur. Le paysage est quelque peu apocalyptique. Plus précisément on dirait ces bâtiments abandonnés dans les films de science-fiction, là où une terrible bombe a sévi. Soit, j’ai entendu des bruits dehors, ce n’est peut-être que la gare. Peut-être y a-t-il quelque chose d’extraordinaire dans la rue qui a poussé tout le monde à sortir dehors. Non ?

Mon téléphone a reçu un appel quand je m’apprêtais à sortir de la gare. C’est bête mais j’ai rien compris à ce que cette personne me disait. Une bouillie de grésillements. Ma foi.

La rue, est vide. Ce n’est pas tellement une surprise en soi. Des journaux jonchent le sol, une maison en face de la gare a un mur tombant en ruines, et toutes les portières des voitures sont ouvertes. Je nage en plein film d’horreur. Il va falloir revoir le titre de mon livre… Pourquoi je dis ça…

Je vais ramasser un journal pour voir la date. Et euh, je vais m’asseoir ailleurs, le capot de ce tas de ferraille va salir la couverture de mon journal.

« L’ALLENSKI – MARDI 14 FEVRIER 1987 – FUYEZ ! ». J’ai posé le journal à ma gauche sur ce banc, et je suis resté là à écouter le silence de la rue. Je n’avais jamais été dans une ville fantôme… lire la une de ce journal a fait vibrer ma colonne vertébrale. L’angoisse sûrement… La photo en noir et blanc du journal est tellement… indescriptible. Quelque chose me dit que ce fut le dernier exemplaire de l’Allenski.

En tout cas par manque de chance, les pages intérieures ont disparues. J’aurais bien aimé vous dire ce qui s’est passé, mais la photo n’en dit en fait pas tant que ça. C’est juste des bâtiments en feu de nuit.

Je crois que je vais rester quelques temps ici. En attendant il me faut un toit pour dormir, je vais farfouiller un peu.

Je suis dans un hôtel, du moins au guichet d’un hôtel. Le « Stars : L’étoile qui illuminera votre nuit ». Tout un programme.

Enfin, il y a un papier et un stylo sur le comptoir. Ce n’est pas tant ce détail qui m’a mit mal à l’aise. Mais quelque chose est écrit dessus, et la dernière phrase s’arrête en plein milieu. Je sais pas vraiment ce qui s’est passé ici… mais ça a été sans doute très rapide. C’est marrant cette soudaine curiosité qui m’envahit, alors que j’ai jamais été curieux. Mais il y a tant de détails fascinants ici.

Bon, bon. J’ai repéré une grande bâtisse qui domine la ville depuis une petite colline. Je vais sûrement passer la nuit là-bas. Cet hôtel me met trop mal à l’aise. En plus la baraque à l’air pas mal luxueuse.

Je suis posé dans l’herbe de la colline. Le soleil se couche pile en face de moi. Je n’ai même pas assez de mots pour vous décrire le merveilleux du paysage. Cette ville a l’air si paisible vu d’en haut. Douce et calme.

Les seuls bruits qu’on entend sont les oiseaux qui eux sont restés ici, ou le bruit de la brise qui passe rapidement en haut de la colline.

La porte de la maison est ouverte, je vais rentrer voir comment c’est dedans. Je crois que je décrirai demain. Je suis un peu fatigué par le voyage, et j’ai mal dormi la nuit dernière. Je crois que.

Non. Surtout pas.

Samedi 14 octobre 1994

Je viens de me rendre compte en écrivant la date que hier nous étions le Vendredi 13. Curieux signe de la providence. Je vais tenter de ne pas m’y fier.

J’ai passé la nuit sur le canapé de cet immense salon. Du moins une partie de la nuit. Laissez-moi vous expliquer, il y a un immense (vous n’imaginez même pas comment) tableau qui se dresse en face du canapé. Il fait à peu près la hauteur de la pièce. Il montre ce que je suppose être le maître de maison, sa femme, sa petite fille et leur chat.

C’est drôle comme le peintre a fait ressortir des détails du tableau. Je sais que ce que je vais dire ne vous aidera en rien à ressentir la puissance de cette peinture, mais si vous seriez là à voir ce chat et ses deux yeux vifs, ce ruban serré autour du coup de cette petite fille, ou le regard horriblement sombre de cet homme, vous n’arriveriez pas à décrire non plus.

Je crois que c’est le regard de cet homme qui m’a empêché de fermer l’œil. Je n’ai pas dormi beaucoup. Du moins les rares fois où je me suis endormi, j’ai fait d’horribles cauchemars. Il y avait cet homme qui sortait du tableau, et qui restait là à me regarder de ses yeux noirs. Et à chaque fois il pointait quelque chose derrière moi, et quand je me retournais, deux longs bras sortaient du mur et me saisissaient la gorge. Comme deux ombres sans objets pour les projeter. Serrant de plus en plus fort.

J’ai aussi vu une église, il y avait toujours l’homme du tableau, dans son costume gris, et il montrait un livre posé sur l’autel. Je n’ai pas eu le temps de m’en approcher. Je me suis senti attrapé par l’arrière et je me suis réveillé.

Mais ce n’est pas ça le pire. Non, le pire c’est que depuis mon réveil j’ai l’impression d’entendre quelque chose gratter derrière les murs. Je ne sais pas si c’est des termites, ou une quelconque autre bestiole qui a élu domicile dans les murs, mais cette maison me fait très peur.

Enfin. L’électricité a été coupée dans la nuit. En un sens, le fait qu’elle ai été encore là la veille m’étonne d’autant plus.

Je crois que je vais visiter un peu la maison, vaguement, et aller voir en ville si je trouve une trace de cette église. Je n’aime pas cet homme en gris, parce qu’il me fait peur, mais il veut me montrer quelque chose. Et ça a sans doute un rapport avec ce qui s’est passé ici. Je ne peux pas l’ignorer.

Et puis qui sait, peut-être que ça m’aidera à retrouver notre mystérieux Bob ?

© 2020 - Emma Fabre - About

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Published 14 years ago
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Le temps efface tout, tant et si bien, qu’au final il ne reste plus que les ténèbres

Stephen King – « La Ligne Verte »

Dimanche 07 mars

Ce que vous êtes en train de lire est le début de mon histoire. Je n’ai aucune idée précise de ce que contiendra ce journal mais, hé, qui sait, peut-être un jour vaudra-t-il de l’or ?

Ma foi, autant espérer que de partir sur de mauvaises bases. Bref, ceci sera le récit de ma vie au jour le jour. Aussi trépidante ou pas soit-elle.

Mais j’en oublie la politesse. Je m’appelle Steve. Je ne pense pas qu’il soit utile d’en dire plus. Il est déjà tard, je crois que je vais aller me coucher. Je sais que cette introduction est réellement minable mais j’ai pas mieux.

Toi lecteur, à demain.

Lundi 09 octobre 1994

Putain ! C’est dans ces moments là que je me dis que préciser l’année aurait été utile. Et pour cause, cela fait trois ans que je n’avais pas ouvert ce journal ! Je crois que je n’avais jamais vu les mots « A demain » prendre un sens aussi spécial. Bon, je vais marquer la date en entier cette fois.

Il s’en est passé des choses en trois ans, toujours est-il que ma femme Avril avait rangé ce journal dans un carton ; carton qui a fini dans le grenier. Ah, si je n’avais jamais été voir là haut, qui sait ce que ce journal serait devenu ?

Enfin, revenons à nos moutons, tant que j’ai encore ce livre en main. Et cela tombe bien, car hey, il m’arrive quelque chose d’intéressant aujourd’hui. C’est si rare. J’ai reçu une lettre anonyme aujourd’hui. Elle n’est pas signée, ni ornée d’un quelconque signe de distinction (c’est le propre d’une lettre anonyme me direz-vous). La personne (on va l’appeler Bob, héhé) s’adresse apparemment à tout un tas de gens. La lettre est quelque-peu confuse, d’autant plus qu’il en manque de nombreux passages. Bob parle d’être « conscient » de quelque chose, de vouloir laisser une trace ou un truc comme ça.

Toujours est-il que dans sa lettre (qui, il semblerait, serait plus une sorte de patchwork de passages sans queue ni tête), Bob dit clairement être bloqué dans une ville, et réclame de l’aide.

Je ne sais pas vraiment quoi dire… je sais que je n’ai peut-être pas retrouvé ce journal aujourd’hui par hasard. Je sens au fond de moi que je dois aller aider Bob.

Et puis ça pourrait faire un très bon livre : « Comment j’ai sauvé Bob des griffes de Allenski ». C’est le nom de la ville. Je vais faire quelques recherches et boucler mes valises.

Aventure, me voilà !

Jeudi 12 octobre 1994

Bonjour lecteurs !

Après moult recherches il semblerait que Allenski soit une ville au milieu d’un massif de montagnes, lui-même quelque-peu perdu. Le plus dur fut en fait de trouver un moyen d’y aller. Il y a bien une vieille route qui traverse la montagne et ses villages, la route n°83, mais elle serait apparemment impraticable.

Par contre, il reste une vieille voie ferrée qui mène au cœur du village. Ça doit être mon jour de chance.

Enfin, j’ai pris un ticket aller-retour pour là-bas (pas donné le ticket, soit dit en passant), et je pars demain matin.

Je – je crois que je vais arrêter là, Avril vient de se réveiller à cause de la lampe du bureau.

Vendredi 13 octobre 1994

J’écris sur les bancs de la gare. En fait le train a du retard, ceci explique cela. J’ai laissé un mot à Avril expliquant que je reviendrai dans quelques jours. Ah… j’espère qu’elle ne s’inquièteras pas trop, elle ne semblait pas aller très bien ces derniers temps.

Mon dieu, j’espère que je ne fait pas une grosse erreur en partant aujourd’hui au lieu de rester auprès d’elle, apr

Je crois que mon train vient d’arriver. C’est un vieux train qui ne m’a pas l’air dans le meilleur état qui soit. Après tout, il ne faut pas se fier aux apparences, je vais monter et j’écrirai depuis l’intérieur.

Je… suis seul. C’est la première fois que je prend un train tout seul. Enfin, le contrôleur m’a paru sympathique, je suis en règle.

Ma foi, je vais piquer un somme et. Et je verrai plus tard. Ou si je n’arrive pas à dormir, je vous décrirai le paysage.

Si je ne l’avais pas vu de mes yeux, je crois que jamais je n’aurais cru qu’il existe en ce pays des étendues si vides. Nous avons traversé d’immenses plaines et longé une montagne pour enfin arriver à l’entrée du massif. Je dois l’avouer, ce fut un long voyage. Quatre longues heures de train dans le vacarme que ce tas de ferraille produite en permanence.

Enfin, toujours est-il que nous (pourquoi j’écris nous d’ailleurs, je suis tout seul) avons passé l’entrée du massif il y a peu, et je jurerai avoir aperçu la route 83 à un moment.

Autant ne pas le cacher, ce sera une joie de sortir de ce truc (qui roule par un miracle, pas possible autrement). Ce train est une plaie. Je me doute que c’est peut-être un des derniers (sinon le seul ?) à encore traverser ce massif de montagnes, mais là vraiment…

En tout cas ce fut un voyage un peu perturbé, comment dire, « secoué ». Je crois que ce train a été construit avant qu’on pense au confort dans les trains. Ha ha, oui, je crois que ça résume bien le fond de ma pensée et ce qu’on peut endurer en faisant ce voyage. D’autant pl

Ça y est, le bruit infernal que fait cette chose en s’arrêtant vient de se finir. Bordel… mes oreilles en seront marquées à vie. Je crois que je vais descendre de ce train et lui lancer un genre de malédiction pour qu’il revienne jamais. Oui… qu’on m’envoie un autre train, si je dois refaire le même trajet dans le même train, je crois que je risquerai de faire quelque chose de regrettable.

Je

Le contrôleur me dit de descendre.

Me voilà sur un banc de la gare. Je n’ose décrire. Ça ne se voit pas là, mais ma main tremble. La gare est… comment dire, vide ? Personne. Strictement personne.

Mon dieu, je crois que j’ai peur. Le paysage est quelque peu apocalyptique. Plus précisément on dirait ces bâtiments abandonnés dans les films de science-fiction, là où une terrible bombe a sévi. Soit, j’ai entendu des bruits dehors, ce n’est peut-être que la gare. Peut-être y a-t-il quelque chose d’extraordinaire dans la rue qui a poussé tout le monde à sortir dehors. Non ?

Mon téléphone a reçu un appel quand je m’apprêtais à sortir de la gare. C’est bête mais j’ai rien compris à ce que cette personne me disait. Une bouillie de grésillements. Ma foi.

La rue, est vide. Ce n’est pas tellement une surprise en soi. Des journaux jonchent le sol, une maison en face de la gare a un mur tombant en ruines, et toutes les portières des voitures sont ouvertes. Je nage en plein film d’horreur. Il va falloir revoir le titre de mon livre… Pourquoi je dis ça…

Je vais ramasser un journal pour voir la date. Et euh, je vais m’asseoir ailleurs, le capot de ce tas de ferraille va salir la couverture de mon journal.

« L’ALLENSKI – MARDI 14 FEVRIER 1987 – FUYEZ ! ». J’ai posé le journal à ma gauche sur ce banc, et je suis resté là à écouter le silence de la rue. Je n’avais jamais été dans une ville fantôme… lire la une de ce journal a fait vibrer ma colonne vertébrale. L’angoisse sûrement… La photo en noir et blanc du journal est tellement… indescriptible. Quelque chose me dit que ce fut le dernier exemplaire de l’Allenski.

En tout cas par manque de chance, les pages intérieures ont disparues. J’aurais bien aimé vous dire ce qui s’est passé, mais la photo n’en dit en fait pas tant que ça. C’est juste des bâtiments en feu de nuit.

Je crois que je vais rester quelques temps ici. En attendant il me faut un toit pour dormir, je vais farfouiller un peu.

Je suis dans un hôtel, du moins au guichet d’un hôtel. Le « Stars : L’étoile qui illuminera votre nuit ». Tout un programme.

Enfin, il y a un papier et un stylo sur le comptoir. Ce n’est pas tant ce détail qui m’a mit mal à l’aise. Mais quelque chose est écrit dessus, et la dernière phrase s’arrête en plein milieu. Je sais pas vraiment ce qui s’est passé ici… mais ça a été sans doute très rapide. C’est marrant cette soudaine curiosité qui m’envahit, alors que j’ai jamais été curieux. Mais il y a tant de détails fascinants ici.

Bon, bon. J’ai repéré une grande bâtisse qui domine la ville depuis une petite colline. Je vais sûrement passer la nuit là-bas. Cet hôtel me met trop mal à l’aise. En plus la baraque à l’air pas mal luxueuse.

Je suis posé dans l’herbe de la colline. Le soleil se couche pile en face de moi. Je n’ai même pas assez de mots pour vous décrire le merveilleux du paysage. Cette ville a l’air si paisible vu d’en haut. Douce et calme.

Les seuls bruits qu’on entend sont les oiseaux qui eux sont restés ici, ou le bruit de la brise qui passe rapidement en haut de la colline.

La porte de la maison est ouverte, je vais rentrer voir comment c’est dedans. Je crois que je décrirai demain. Je suis un peu fatigué par le voyage, et j’ai mal dormi la nuit dernière. Je crois que.

Non. Surtout pas.

Samedi 14 octobre 1994

Je viens de me rendre compte en écrivant la date que hier nous étions le Vendredi 13. Curieux signe de la providence. Je vais tenter de ne pas m’y fier.

J’ai passé la nuit sur le canapé de cet immense salon. Du moins une partie de la nuit. Laissez-moi vous expliquer, il y a un immense (vous n’imaginez même pas comment) tableau qui se dresse en face du canapé. Il fait à peu près la hauteur de la pièce. Il montre ce que je suppose être le maître de maison, sa femme, sa petite fille et leur chat.

C’est drôle comme le peintre a fait ressortir des détails du tableau. Je sais que ce que je vais dire ne vous aidera en rien à ressentir la puissance de cette peinture, mais si vous seriez là à voir ce chat et ses deux yeux vifs, ce ruban serré autour du coup de cette petite fille, ou le regard horriblement sombre de cet homme, vous n’arriveriez pas à décrire non plus.

Je crois que c’est le regard de cet homme qui m’a empêché de fermer l’œil. Je n’ai pas dormi beaucoup. Du moins les rares fois où je me suis endormi, j’ai fait d’horribles cauchemars. Il y avait cet homme qui sortait du tableau, et qui restait là à me regarder de ses yeux noirs. Et à chaque fois il pointait quelque chose derrière moi, et quand je me retournais, deux longs bras sortaient du mur et me saisissaient la gorge. Comme deux ombres sans objets pour les projeter. Serrant de plus en plus fort.

J’ai aussi vu une église, il y avait toujours l’homme du tableau, dans son costume gris, et il montrait un livre posé sur l’autel. Je n’ai pas eu le temps de m’en approcher. Je me suis senti attrapé par l’arrière et je me suis réveillé.

Mais ce n’est pas ça le pire. Non, le pire c’est que depuis mon réveil j’ai l’impression d’entendre quelque chose gratter derrière les murs. Je ne sais pas si c’est des termites, ou une quelconque autre bestiole qui a élu domicile dans les murs, mais cette maison me fait très peur.

Enfin. L’électricité a été coupée dans la nuit. En un sens, le fait qu’elle ai été encore là la veille m’étonne d’autant plus.

Je crois que je vais visiter un peu la maison, vaguement, et aller voir en ville si je trouve une trace de cette église. Je n’aime pas cet homme en gris, parce qu’il me fait peur, mais il veut me montrer quelque chose. Et ça a sans doute un rapport avec ce qui s’est passé ici. Je ne peux pas l’ignorer.

Et puis qui sait, peut-être que ça m’aidera à retrouver notre mystérieux Bob ?

© 2020 - Emma Fabre - About