Autopergamene

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Les Roses sont Rouges

Published 13 years ago
4mn to read

Dans le bref son d’un soupir, il reposa le verre sur la table. Les lèvres tendues en un sourire pointu comme deux cornes, de chaque côté de son visage. En main, une rose fanée qu’il plaça délicatement dans une poche de sa veste. Lentement, le vieil homme balaya du regard la vaste campagne environnante, le jardin, la table et la chaise de laquelle il se leva. Pas à pas il s’avança vers l’entrée de la maison isolée, aux murs blancs crépis et toit en tuiles qui tombaient une à une au fil des années. Sa main frappa à la porte, qui s’ouvrit quelques instants plus tard sur une jeune femme aux longs cheveux bruns, debout dans l’encadrement de la porte, le dévisageant avec méfiance.

« Vous êtes ? lâcha-t-elle en fronçant les sourcils sur ses deux yeux vert pâle.

  • J’ai remarquĂ© que vos roses Ă©taient fanĂ©es.
  • Et ? Vous ĂŞtes ? rĂ©pĂ©ta la jeune femme.
  • Votre jardinier, Norman. EnchantĂ©, mademoiselle ?
  • Comment ça ? Qu’est-il arrivĂ© Ă  Lucas ? le coupa-t-elle.
  • Il est très malade, vous savez. VoilĂ  pourquoi il m’a envoyĂ© Ă  sa place. »

Il y eut un bref silence, que la propriétaire de la maison acheva d’un « Rose, enchantée aussi. Entrez. »

À l’intérieur pesait un air chaud étouffant se répandant des rayons du soleil tel un poison dans le sang. Les couleurs semblaient avoir perdu leur personnalité, au profit de teintes orangées propres aux heures du matin, au cœur de l’été. Seul le rouge accrochait l’œil ; celui de la rose que l’homme avait déposée doucement sur le buffet, d’un geste preste, et un sourire tant rassurant que chaleureux.

Rose resta quelques secondes hypnotisée par la fleur — comme en soudain état de narcose, prête à s’effondrer ; puis elle secoua brièvement la tête et pointa du doigt une vieille cabane visible à travers la fenêtre, « Tout ce dont vous avez besoin se trouve là-dedans ». Le jardinier acquiesça, et se dirigea vers le jardin, marmonnant quelques paroles inaudibles, « Merci, la tâche ne sera sans doute pas facile ».

Alors que les aiguilles de l’horloge marquaient en chœur onze heures, Rose reposa son regard sur la fleur. Sans doute avait-elle peur, de cette tache rouge sang mise en évidence dans le décor, qui attirait inéluctablement le regard comme un puissant aimant ?

Le cœur battant – sans trop qu’elle sût pourquoi – Rose se leva de son fauteuil et prit la plante dans sa main. Bref cri de douleur, elle la retira vivement des épines. « Bon sang ! » s’écria la jeune femme, le regard fixé sur les lancinantes perles vermeilles tombant une à une en marquant le blanc du carrelage. Elles étaient comme un compte à rebours qui réveillait les obscures consciences tapies au fond de son esprit. Telles une mise en garde, une menace, une incitation à détourner le regard vers le téléphone posé à sa gauche et à s’en saisir sans plus tarder. Rose contempla le combiné avec appréhension, finit par céder, et tapa le numéro du bout des doigts en laissant de petites traces rouges ça et là sur les touches. La femme à l’autre bout du fil fut indéniablement charmante, compréhensive et répondit sobrement à sa question – pendant que la sombre ombre de Norman allait et venait dans l’immense jardin. Quelque part comme derrière la fenêtre du salon, debout telle une gargouille aux yeux noirs emplis de haine, rivés sur la silhouette de la jeune femme.

« Non, Lucas n’est pas malade, non. Je crois qu’il est parti chez vous vers neuf heures, pourquoi ? »

Ses pas marquant la terre sèche du jardin, Rose s’arrêta près de Norman. Là, accroupi devant le parterre de roses, il chantonnait des aigus sans se soucier de la sinistre silhouette de la jeune femme immobile derrière lui. « Il y a d’autres fleurs dans le jardin, vous savez ? » déclara-t-elle, tremblante d’une puissante terreur intérieure qu’elle peinait à contenir. « Oui, je sais. » rétorqua l’homme en se levant lentement, « mais les roses sont sans doute les plus belles de toutes, ce serait un crime que de les laisser périr, ne trouvez-vous pas ? ».

Rose fit deux pas discrets en arrière, sentant dans sa main droite le manche du couteau s’humidifier de sa sueur et suinter sa peur. Alors, sans qu’elle comprît, l’homme fit volte-face et la frappa au visage avec rage. Étendue à terre, elle écarquilla ses yeux humides sur l’arme blanche tombée si loin d’elle. Machinalement, son corps rampa vers la porte de la maison – ouverte en deux bras compatissants – sous la contrainte d’un puissant hurlement interne qui faisait grésiller violemment ses oreilles. Avec malsaine malice, Norman fit ressurgir une à une les cornes de son sourire, puis laissa sa main se baisser au sol vers le couteau brillant et aiguisé comme une dent acérée — « Prends-moi, et fais-le ».

Précipitamment, Rose courut dans le salon où le téléphone était posé en évidence ; soudain signe de la chance, ou calculé geste de la providence ? Sans plus attendre, la main de la jeune fille se saisit du combiné qui pendait sous ses yeux. Bien trop tard pour entendre le grincement du piège se refermant sur sa frêle silhouette. Le couteau l’atteignit directement au plus profond du dos, et en une pincée de secondes, elle tomba à terre. Son regard cloué sur le visage Malin de Norman qui lâcha alors l’arme dans le sang ruisselant sur le sol. Goutte à goutte, les pensées de Rose s’étouffèrent et se turent, pendant que sa vision s’emplissait de formes étranges et indicibles, maîtresses du sentiment nommé vertige.

Les pétales devenus rouge sombre, se fondant en noir, Rose commença à faner, peu à peu.

La pelle teintée de la sombre lueur du crépuscule frappa à nouveau le tas de terre, recouvrant l’exsangue et mort corps de l’ex-jeune femme. Avec attention, Norman fouilla dans sa poche et jeta la rose fanée, juste là, sur la tombe de fortune, à ses pieds. « Roses. Le rose de l’amour, le rouge du sang, les épines de la haine ». Il ferma les yeux et versa une discrète larme qui vint atterrir sur les deux Roses éteintes – inertes, sur et sous terre.

« Toutes gâchées. Criminelle »

© 2020 - Emma Fabre - About

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Dans le bref son d’un soupir, il reposa le verre sur la table. Les lèvres tendues en un sourire pointu comme deux cornes, de chaque côté de son visage. En main, une rose fanée qu’il plaça délicatement dans une poche de sa veste. Lentement, le vieil homme balaya du regard la vaste campagne environnante, le jardin, la table et la chaise de laquelle il se leva. Pas à pas il s’avança vers l’entrée de la maison isolée, aux murs blancs crépis et toit en tuiles qui tombaient une à une au fil des années. Sa main frappa à la porte, qui s’ouvrit quelques instants plus tard sur une jeune femme aux longs cheveux bruns, debout dans l’encadrement de la porte, le dévisageant avec méfiance.

« Vous êtes ? lâcha-t-elle en fronçant les sourcils sur ses deux yeux vert pâle.

  • J’ai remarquĂ© que vos roses Ă©taient fanĂ©es.
  • Et ? Vous ĂŞtes ? rĂ©pĂ©ta la jeune femme.
  • Votre jardinier, Norman. EnchantĂ©, mademoiselle ?
  • Comment ça ? Qu’est-il arrivĂ© Ă  Lucas ? le coupa-t-elle.
  • Il est très malade, vous savez. VoilĂ  pourquoi il m’a envoyĂ© Ă  sa place. »

Il y eut un bref silence, que la propriétaire de la maison acheva d’un « Rose, enchantée aussi. Entrez. »

À l’intérieur pesait un air chaud étouffant se répandant des rayons du soleil tel un poison dans le sang. Les couleurs semblaient avoir perdu leur personnalité, au profit de teintes orangées propres aux heures du matin, au cœur de l’été. Seul le rouge accrochait l’œil ; celui de la rose que l’homme avait déposée doucement sur le buffet, d’un geste preste, et un sourire tant rassurant que chaleureux.

Rose resta quelques secondes hypnotisée par la fleur — comme en soudain état de narcose, prête à s’effondrer ; puis elle secoua brièvement la tête et pointa du doigt une vieille cabane visible à travers la fenêtre, « Tout ce dont vous avez besoin se trouve là-dedans ». Le jardinier acquiesça, et se dirigea vers le jardin, marmonnant quelques paroles inaudibles, « Merci, la tâche ne sera sans doute pas facile ».

Alors que les aiguilles de l’horloge marquaient en chœur onze heures, Rose reposa son regard sur la fleur. Sans doute avait-elle peur, de cette tache rouge sang mise en évidence dans le décor, qui attirait inéluctablement le regard comme un puissant aimant ?

Le cœur battant – sans trop qu’elle sût pourquoi – Rose se leva de son fauteuil et prit la plante dans sa main. Bref cri de douleur, elle la retira vivement des épines. « Bon sang ! » s’écria la jeune femme, le regard fixé sur les lancinantes perles vermeilles tombant une à une en marquant le blanc du carrelage. Elles étaient comme un compte à rebours qui réveillait les obscures consciences tapies au fond de son esprit. Telles une mise en garde, une menace, une incitation à détourner le regard vers le téléphone posé à sa gauche et à s’en saisir sans plus tarder. Rose contempla le combiné avec appréhension, finit par céder, et tapa le numéro du bout des doigts en laissant de petites traces rouges ça et là sur les touches. La femme à l’autre bout du fil fut indéniablement charmante, compréhensive et répondit sobrement à sa question – pendant que la sombre ombre de Norman allait et venait dans l’immense jardin. Quelque part comme derrière la fenêtre du salon, debout telle une gargouille aux yeux noirs emplis de haine, rivés sur la silhouette de la jeune femme.

« Non, Lucas n’est pas malade, non. Je crois qu’il est parti chez vous vers neuf heures, pourquoi ? »

Ses pas marquant la terre sèche du jardin, Rose s’arrêta près de Norman. Là, accroupi devant le parterre de roses, il chantonnait des aigus sans se soucier de la sinistre silhouette de la jeune femme immobile derrière lui. « Il y a d’autres fleurs dans le jardin, vous savez ? » déclara-t-elle, tremblante d’une puissante terreur intérieure qu’elle peinait à contenir. « Oui, je sais. » rétorqua l’homme en se levant lentement, « mais les roses sont sans doute les plus belles de toutes, ce serait un crime que de les laisser périr, ne trouvez-vous pas ? ».

Rose fit deux pas discrets en arrière, sentant dans sa main droite le manche du couteau s’humidifier de sa sueur et suinter sa peur. Alors, sans qu’elle comprît, l’homme fit volte-face et la frappa au visage avec rage. Étendue à terre, elle écarquilla ses yeux humides sur l’arme blanche tombée si loin d’elle. Machinalement, son corps rampa vers la porte de la maison – ouverte en deux bras compatissants – sous la contrainte d’un puissant hurlement interne qui faisait grésiller violemment ses oreilles. Avec malsaine malice, Norman fit ressurgir une à une les cornes de son sourire, puis laissa sa main se baisser au sol vers le couteau brillant et aiguisé comme une dent acérée — « Prends-moi, et fais-le ».

Précipitamment, Rose courut dans le salon où le téléphone était posé en évidence ; soudain signe de la chance, ou calculé geste de la providence ? Sans plus attendre, la main de la jeune fille se saisit du combiné qui pendait sous ses yeux. Bien trop tard pour entendre le grincement du piège se refermant sur sa frêle silhouette. Le couteau l’atteignit directement au plus profond du dos, et en une pincée de secondes, elle tomba à terre. Son regard cloué sur le visage Malin de Norman qui lâcha alors l’arme dans le sang ruisselant sur le sol. Goutte à goutte, les pensées de Rose s’étouffèrent et se turent, pendant que sa vision s’emplissait de formes étranges et indicibles, maîtresses du sentiment nommé vertige.

Les pétales devenus rouge sombre, se fondant en noir, Rose commença à faner, peu à peu.

La pelle teintée de la sombre lueur du crépuscule frappa à nouveau le tas de terre, recouvrant l’exsangue et mort corps de l’ex-jeune femme. Avec attention, Norman fouilla dans sa poche et jeta la rose fanée, juste là, sur la tombe de fortune, à ses pieds. « Roses. Le rose de l’amour, le rouge du sang, les épines de la haine ». Il ferma les yeux et versa une discrète larme qui vint atterrir sur les deux Roses éteintes – inertes, sur et sous terre.

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