Autopergamene

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Rêche Corde Raide

Published 13 years ago
5mn to read

Je suis l’hagard regard noir posé sur la montagne de ma haine.

Je suis cet être anonyme que le monde fuit dans sa course.

Je suis l’innocence violée par les coups d’une lame acérée.

Je suis cette douce âme malformée devenue rebus de la société.

Je suis la bête qui sans cesse guette vos enfants à la sortie de l’école.

Je suis l’inquiétant murmure tapis sous le tapis de leurs douces nuits.

Je suis le monstre qui se terre dans les placards et vicie les rêves sans trêve.

Je suis ce fou dont on se fout, accablé de macabres pensées ;

Et qui désormais verse d’amères larmes, sur le canon fumant de son arme.

Je suis cette fillette, mille rêves en tête, qui passe le porche de sa maison muette, je suis le pur d’un ciel azur et la beauté d’un champ de blé doré, je suis cet ange qui vadrouille en fin de soirée, cette fragile enfant qui discrètement se dérobe à l’attention de ses parents, je suis cette tache de blanc chutée sur la toile noire du soir, je suis cette brise qui se perd dans le sombre cruel d’une ruelle, je suis le visage horrifié de la candeur face à ce revolver, je suis cette silhouette égarée qu’on perce et transperce d’une brûlante souffrance, je suis cette vie qu’on ôte balle après balle, sous les tirs d’un homme, enflammé d’une colère formidable.

Je suis ces sifflantes sirènes qu’entonnent les gyrophares, je suis ce corps mort qu’une civière porte six pieds sous terre, je suis cette nuit encre qu’on a emplie d’une destructrice rage, je suis cet orage qui gronde et grandit le vacarme d’un tel drame, je suis les pleurs enfantés par la peur nue et sans nul charme, je suis la crainte sinistrement peinte sur des visages blafards, je suis ces parents meurtris noyés dans le dépit, je suis cet homme incompris qu’on arrête et fouette de mépris.

Je suis cette infernale prison, je suis cette gorge de béton plantée de barreaux de fer, ces enfers dont on a que faire, ce triste repaire que renie toute la terre, le bout du monde où prospère l’immonde, le cimetière des pervers, où leurs innombrables cages ne sont que tombes, je suis ces couloirs qu’arpentent de sombres ombres, je suis un labyrinthe dont les murs étouffent les plaintes, je suis le dieu déchu qui condamne et foudroie, je suis cette main vengeresse qui vous vide de tout droit, je suis les flammes qui consument leurs vies et torturent leurs âmes, je suis ce supplice auquel personne ne réchappe, je suis le diable dans sa splendeur magistrale, je suis l’ultime râle du bien, vaincu par le mal.

Je suis la pluie de sang apportée par l’aurore ; la bruine de sève, sur mille milliers d’arbres morts.

Tête et mains pendantes, plus ou moins allongés sur des matelas informes, c’est à la force de leur motivation qu’ils ouvrirent lentement les yeux. Croisant les doigts pour se réveiller à cent lieues des quatre murs de pierre qui leur tenaient lieu de cellule, et entre lesquels même le soleil ne s’aventurait plus. Il n’y avait personne pour s’apitoyer sur ces quelques âmes en perditions, déchues en ces silencieuses cellules que la mort arpentait. Personne pour applaudir au fermer de rideaux, nulle silhouette venue poser une main sur les épaules de ces condamnés. Pour le reste du monde ils étaient à présent des sans visage, des espèces en voie de disparition que l’on parquait dans un couloir jusqu’à ce qu’il ne reste d’eux que des cendres. Et pas n’importe quelles cendres, pas n’importe quel couloir — le couloir de la mort de la prison haute sécurité d’Édalle.

En cette matinée, tout était plutôt calme comme à l’accoutumée. Les oiseaux ne chantaient pas, et la seule chose qui meublait ce monde muet était les quelques bougonnements d’un homme se redressant dans sa cellule. Nathan passa une main à l’arrière de son crâne chauve, et fit abstraction des cernes qui paraient son visage lassé. Quelques marques traînaient sous ses yeux, rappelant au passage à quel point la nuit avait pour lui été agitée ; hantée par ce puissant cauchemar et ses griffes acérées… la vision d’un homme dans l’ombre se tenant debout devant la cellule de Nathan, un objet inconnu dans la main, le pointant du doigt à travers les barreaux.

Un homme à tête de bouc.

Lorsque la matraque frappa contre le mur, le condamné fit un bref sursaut sur son matelas et se tourna côté couloir. Par-delà les barreaux, se dessinaient un homme imposant escorté par deux gardes au regard sévère. Un tour de clé ouvrit la porte de la cellule, et ce qui semblait être le directeur de la prison entra et se posa aux côtés de Nathan, comme s’il n’était là qu’un ami prêt à le sortir de là.

Foutaises. Le directeur tourna son gros visage vers le condamné, et d’une voix quasi-mécanique il déclara « Dans deux jours ce sera le jour de l’exécution », en espaçant ses mots et en insistant sur la force de la formulation. « En tant que détenu vous avez le droit de choisir la méthode de mise à mort, poursuivit-il en achevant cette phrase qu’il avait sans doute dite d’incalculables fois dans sa longue carrière.

  • J’ai… le droit de choisir la méthode ? s’étonna le condamné en haussant brièvement un sourcil.
  • Il n’y en a pas trente-six non plus : la chaise électrique, l’injection létale…
  • Ça change quelque chose ? »

À ces mots le directeur parut un brin irrité, déstabilisé dans la sombre routine dans sa procédure. Il se leva non sans grogner et fit un pas vers la porte de la cellule que les deux gardes bloquaient. Puis comme dans un dernier élan de compassion, le directeur lâcha à voix basse un discret « Oui, mais pas pour nous, c’est pour vous que ça peut faire une différence ». Nathan leva la tête vers son ami, le mur gris en face de lui, et tenta de s’imaginer une pièce qu’on lance en l’air et virevolte ça et là avant de s’échouer sur le sol.

Face.

« Je vais opter pour l’injection létale, c’est ce qui semble le moins douloureux… enfin je crois »

Le directeur hocha la tête, tourna talons, et s’éloigna alors que derrière lui la porte de la cellule se fermait en son typique son de claquement métallique. Dans les tréfonds de sa cellule, Nathan observait et écoutait longuement le monde autour de lui, s’évadant en imaginant le monde au-delà des murs d’enceinte de la prison. Mais avec le temps, le souvenir d’un autre monde s’était estompé puis effacé de sa mémoire tâtonnante. Il en avait perdu des notions essentielles, ne se rappelait plus d’où il venait ni de ce qu’il avait comme emploi... ni même de la raison de sa présence en ces lieux. Seul restait le souvenir de sa famille, de sa femme et son enfant qu’il avait quitté à regret et qu’il espérait apercevoir une ultime fois le jour de l’exécution.

Une toute dernière fois, pour raviver un souvenir fuyant. Peut-être même l’unique occasion de leur dire « Je vous aime », en guise de dernières paroles.

À peine ces trois mots eurent résonné dans la tête du condamné que déjà le jour chutait derrière les collines et laissait place à une douce nuit d’encre. Beaucoup croient que les journées se font longues dans le couloir de la mort, mais la réalité c’est que plus on s’approche de dame la Mort, et plus elle fait de grandes enjambées pour nous quérir.

© 2020 - Emma Fabre - About

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Je suis l’hagard regard noir posé sur la montagne de ma haine.

Je suis cet être anonyme que le monde fuit dans sa course.

Je suis l’innocence violée par les coups d’une lame acérée.

Je suis cette douce âme malformée devenue rebus de la société.

Je suis la bête qui sans cesse guette vos enfants à la sortie de l’école.

Je suis l’inquiétant murmure tapis sous le tapis de leurs douces nuits.

Je suis le monstre qui se terre dans les placards et vicie les rêves sans trêve.

Je suis ce fou dont on se fout, accablé de macabres pensées ;

Et qui désormais verse d’amères larmes, sur le canon fumant de son arme.

Je suis cette fillette, mille rêves en tête, qui passe le porche de sa maison muette, je suis le pur d’un ciel azur et la beauté d’un champ de blé doré, je suis cet ange qui vadrouille en fin de soirée, cette fragile enfant qui discrètement se dérobe à l’attention de ses parents, je suis cette tache de blanc chutée sur la toile noire du soir, je suis cette brise qui se perd dans le sombre cruel d’une ruelle, je suis le visage horrifié de la candeur face à ce revolver, je suis cette silhouette égarée qu’on perce et transperce d’une brûlante souffrance, je suis cette vie qu’on ôte balle après balle, sous les tirs d’un homme, enflammé d’une colère formidable.

Je suis ces sifflantes sirènes qu’entonnent les gyrophares, je suis ce corps mort qu’une civière porte six pieds sous terre, je suis cette nuit encre qu’on a emplie d’une destructrice rage, je suis cet orage qui gronde et grandit le vacarme d’un tel drame, je suis les pleurs enfantés par la peur nue et sans nul charme, je suis la crainte sinistrement peinte sur des visages blafards, je suis ces parents meurtris noyés dans le dépit, je suis cet homme incompris qu’on arrête et fouette de mépris.

Je suis cette infernale prison, je suis cette gorge de béton plantée de barreaux de fer, ces enfers dont on a que faire, ce triste repaire que renie toute la terre, le bout du monde où prospère l’immonde, le cimetière des pervers, où leurs innombrables cages ne sont que tombes, je suis ces couloirs qu’arpentent de sombres ombres, je suis un labyrinthe dont les murs étouffent les plaintes, je suis le dieu déchu qui condamne et foudroie, je suis cette main vengeresse qui vous vide de tout droit, je suis les flammes qui consument leurs vies et torturent leurs âmes, je suis ce supplice auquel personne ne réchappe, je suis le diable dans sa splendeur magistrale, je suis l’ultime râle du bien, vaincu par le mal.

Je suis la pluie de sang apportée par l’aurore ; la bruine de sève, sur mille milliers d’arbres morts.

Tête et mains pendantes, plus ou moins allongés sur des matelas informes, c’est à la force de leur motivation qu’ils ouvrirent lentement les yeux. Croisant les doigts pour se réveiller à cent lieues des quatre murs de pierre qui leur tenaient lieu de cellule, et entre lesquels même le soleil ne s’aventurait plus. Il n’y avait personne pour s’apitoyer sur ces quelques âmes en perditions, déchues en ces silencieuses cellules que la mort arpentait. Personne pour applaudir au fermer de rideaux, nulle silhouette venue poser une main sur les épaules de ces condamnés. Pour le reste du monde ils étaient à présent des sans visage, des espèces en voie de disparition que l’on parquait dans un couloir jusqu’à ce qu’il ne reste d’eux que des cendres. Et pas n’importe quelles cendres, pas n’importe quel couloir — le couloir de la mort de la prison haute sécurité d’Édalle.

En cette matinée, tout était plutôt calme comme à l’accoutumée. Les oiseaux ne chantaient pas, et la seule chose qui meublait ce monde muet était les quelques bougonnements d’un homme se redressant dans sa cellule. Nathan passa une main à l’arrière de son crâne chauve, et fit abstraction des cernes qui paraient son visage lassé. Quelques marques traînaient sous ses yeux, rappelant au passage à quel point la nuit avait pour lui été agitée ; hantée par ce puissant cauchemar et ses griffes acérées… la vision d’un homme dans l’ombre se tenant debout devant la cellule de Nathan, un objet inconnu dans la main, le pointant du doigt à travers les barreaux.

Un homme à tête de bouc.

Lorsque la matraque frappa contre le mur, le condamné fit un bref sursaut sur son matelas et se tourna côté couloir. Par-delà les barreaux, se dessinaient un homme imposant escorté par deux gardes au regard sévère. Un tour de clé ouvrit la porte de la cellule, et ce qui semblait être le directeur de la prison entra et se posa aux côtés de Nathan, comme s’il n’était là qu’un ami prêt à le sortir de là.

Foutaises. Le directeur tourna son gros visage vers le condamné, et d’une voix quasi-mécanique il déclara « Dans deux jours ce sera le jour de l’exécution », en espaçant ses mots et en insistant sur la force de la formulation. « En tant que détenu vous avez le droit de choisir la méthode de mise à mort, poursuivit-il en achevant cette phrase qu’il avait sans doute dite d’incalculables fois dans sa longue carrière.

  • J’ai… le droit de choisir la méthode ? s’étonna le condamné en haussant brièvement un sourcil.
  • Il n’y en a pas trente-six non plus : la chaise électrique, l’injection létale…
  • Ça change quelque chose ? »

À ces mots le directeur parut un brin irrité, déstabilisé dans la sombre routine dans sa procédure. Il se leva non sans grogner et fit un pas vers la porte de la cellule que les deux gardes bloquaient. Puis comme dans un dernier élan de compassion, le directeur lâcha à voix basse un discret « Oui, mais pas pour nous, c’est pour vous que ça peut faire une différence ». Nathan leva la tête vers son ami, le mur gris en face de lui, et tenta de s’imaginer une pièce qu’on lance en l’air et virevolte ça et là avant de s’échouer sur le sol.

Face.

« Je vais opter pour l’injection létale, c’est ce qui semble le moins douloureux… enfin je crois »

Le directeur hocha la tête, tourna talons, et s’éloigna alors que derrière lui la porte de la cellule se fermait en son typique son de claquement métallique. Dans les tréfonds de sa cellule, Nathan observait et écoutait longuement le monde autour de lui, s’évadant en imaginant le monde au-delà des murs d’enceinte de la prison. Mais avec le temps, le souvenir d’un autre monde s’était estompé puis effacé de sa mémoire tâtonnante. Il en avait perdu des notions essentielles, ne se rappelait plus d’où il venait ni de ce qu’il avait comme emploi... ni même de la raison de sa présence en ces lieux. Seul restait le souvenir de sa famille, de sa femme et son enfant qu’il avait quitté à regret et qu’il espérait apercevoir une ultime fois le jour de l’exécution.

Une toute dernière fois, pour raviver un souvenir fuyant. Peut-être même l’unique occasion de leur dire « Je vous aime », en guise de dernières paroles.

À peine ces trois mots eurent résonné dans la tête du condamné que déjà le jour chutait derrière les collines et laissait place à une douce nuit d’encre. Beaucoup croient que les journées se font longues dans le couloir de la mort, mais la réalité c’est que plus on s’approche de dame la Mort, et plus elle fait de grandes enjambées pour nous quérir.

© 2020 - Emma Fabre - About