Autopergamene

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Quatre ans en images

Published 9 years ago
16mn to read

Le champ des thèmes que j’aurais pu aborder pour ce premier article était vaste : il y a nombre de domaines que je côtoie ou pratique et qui auraient pu figurer sur notre blog. Puis après réflexion je me suis dit que quitte à parler image et à faire le pont avec la communication, le choix le plus judicieux serait de parler photographie. Pourquoi ? Parce que la photo - de mon point de vue tout du moins - c’est à moitié de l’instinct et à moitié de la connaissance. Deux choses qui sont essentielles pour faire du bon travail de manière générale qu’il s’agisse de print ou de webdesign ; savoir composer quelque chose, allier les couleurs ou les formes. Faire de l’image et la capturer, c’est aussi étroitement lié que composer et décomposer une musique.

Premiers pas

Il y aura sûrement d’autres articles photo sur ce blog parce que dans l’équipe c’est une passion qui revient souvent – ce qui est intéressant c’est que des bagages différents de chacun découlent des approches différentes. Quand j’ai personnellement commencé à faire de la photo, en mars 2007, c’était plus par principe, me dire « Ce serait intéressant de faire de la photo » plutôt qu’une envie réelle de tâter l’objectif. Puis j’ai été accroché, et j’ai continué à faire mes escapades avec pour but de chaque fois me rendre dans une ville différente et de faire des séries comme ça. Ma démarche de l’époque était simple : mettre en image les détails, textures et autres teintes que les gens croisent tous les jours sans pour autant que leurs yeux ne voient réellement. Un peu comme du Christo sauf qu’au lieu d’emballer, je voulais déballer au grand jour.
De nombreuses fois je me suis amusé aux jeux d’abstractions, d’oppositions ou de symétries. Jouer sur le détail, sur la couleur, prendre d’infimes pans de murs et ressortir de vastes murailles monochromes — c’est important parce qu’au fur et à mesure de ma démarche c’est un goût que j’ai conservé et c’est une volonté qui se lit aujourd’hui encore dans mes séries.

01

Diagonales

Les choses mortes

J’ai continué comme ça à aller de ville en ville autour de moi jusqu’à inéluctablement être à court d’endroits à visiter. Et après un premier jet d’une grosse poignée de séries allant du paysage au portrait sur fond de vagabondage urbain, je suis revenu à une série en particulier que j’avais pris un plaisir malsain à faire : Les choses mortes. C’était une série que j’avais faite durant l’automne 2009 et qui consistait pour moi en une sorte d’exorcisation d’une de mes vieilles peurs. Durant toute mon enfance j’avais vécu près d’une grande bâtisse abandonnée, encagée par un abstrait chaos d’arbres et d’herbes, et c’est une maison que longtemps j’avais cru, disons, « hantée ». Plus tard j’ai grandi au-delà de cette idée, mais j’avais gardé en moi une curiosité quant à ce que les murs meurtris de la demeure recelaient vraiment.
Alors un jour j’ai pris mon courage à deux mains – mon appareil photo dans la troisième – et j’ai escaladé ce qui restait du mur d’enceinte. J’avais passé quelques heures dans la maison à y photographier chaque parcelle dépérie de pièces laissées sans vie. Tout m’avait fasciné à l’intérieur. De l’aléatoire qui, par couches et surcouches d’objets, avait inondé les couloirs, en passant par les vestiges figés d’une époque passée. Mais surtout, j’avais trouvé là un terrain de jeu magistral à mes essais visuels. Il y a une complexité, une richesse visuelle dans des dégradations telles la rouille ou le papier-peint calciné que je n’ai jamais retrouvé ailleurs. Si j’avais eu un objectif macro j’aurais passé des heures à recadrer bosselures jusqu’à ce qu’elles n’aient plus l’air que de collines maladroites enlacées par des terres de feu.

08b - Corrasion30

Exemples de richesse dans les palettes et textures de la dégradation

J’ai réfléchi longtemps au plaisir que j’avais pris à pénétrer l’inconnu pour en ressortir avec ce que nul œil n’avait vu, et de là j’ai réorienté mon style et ai fait de mon devoir de collecter autour de moi les lieux morts qui me venaient. Comme des papillons sur un mur, je m’étais mis en tête de visiter chacune de ces visions d’abandon devant lesquelles les gens passent en voiture ou à pied en se murmurant tout bas « Des fois je me demande ce qu’il peut y avoir dedans ».
Moi, je savais. J’avais foulé du pas ces lieux esseulés et m’était laissé absorber par leur atmosphère aliénante. Les complexes arabesques rousses de métal décrépi, les murs arrachés, et l’eau croupie qui par vastes traînées venait assombrir le papier peint et gorger le plancher. Il y en a qui aiment prendre des centaines d’images d’infinis paysages, moi je m’étais épris des recoins enténébrés qui les choses mortes accueillent.

05 - The Life and Death of a Wasp1

The Life and Death of a Wasp - Sans titre

Forteresses techniques

Mon parcours a de longs mois durant continué comme ça. Je repérais un endroit que j’estimais futur théâtre de mes errances, je m’armais de mon appareil, et avec la retenue d’un courant d’air passant dans l’embrasure d’une porte, je m’insufflais par la première fenêtre cassée que je trouvais. Photographier dans des lieux abandonnés m’offrait un tout nouveau challenge technique, parce que cela revenait à prendre des images dans les pires conditions imaginables — et à aimer ça. Nombre des séries que j’ai faites se sont déroulées dans les lieux ou peu voire pas de lumière ne filtre, où l’exiguïté de chaque pièce me faisait sans cesse chercher des angles nouveaux. J’ai essayé un, puis deux, puis trois trépieds avant d’en trouver un capable de se positionner de manière stable entre des piles de décombres, tout en me permettant de l’emmener par Dieu sait quelle ouverture s’étant percé dans le béton des murs.

Ce manque de luminosité a très vite donné du fil à retordre à mon appareil — depuis le début de ma démarche des « Choses Mortes » à aujourd’hui j’ai travaillé avec un Canon EOS 350D. Un appareil qui s’il a des qualités indéniables, souffre de son ancienneté et a tendance à très vite voiler les images de grain, même en réglant l’ISO au plus bas. Pour les non initiés, je laisse Wikipedia expliquer à ma place :

Plus la valeur de la sensibilité est élevée, plus la pellicule (ou le capteur) est sensible à la lumière, et donc plus la quantité de lumière nécessaire à une exposition correcte est faible. Si l’on peut être tenté de prendre systématiquement une pellicule de forte sensibilité (de type ISO 400/27° par exemple), il faut savoir que cela a une influence sur l’image finale - par exemple, un film rapide montre un grain plus prononcé et une définition plus faible qu’un film lent.

Dans les lieux sans lumière comme ceux-ci, ce temps devient vite le rival de vos clichés réussis : la moindre microseconde en trop peut rendre l’image floue, et sur le petit écran de l’appareil c’est quelque chose qui ne se remarque pas forcément. J’ai raté de nombreuses images comme ça, et aujourd’hui encore j’appuie une bonne dizaine de fois sur le déclencheur – par paranoïa – juste pour être sûr d’avoir la photo que j’avais en tête.
Maintenant que je me suis fait à l’idée que mes images ne seront jamais parfaites j’ai plus ou moins appris à faire avec ce grain et quelque part j’en ai fait un sceau d’authenticité. À la manière de vieux films que l’on reconnaît aux cicatrices de leur pellicule, j’ai mêlé ce bruit visuel à ce qui faisait que mes photos étaient de réels témoignages des endroits que j’ai visités.

0809

Sans titre - Out through the winter throat

La frontière noire

Il est à savoir que – en France ou ailleurs – je suis loin d’être le seul à m’être mis en tête de revisiter les vestiges encore chauds du passage de l’homme. Le terme officiel englobant la chose étant « l’urbex » (pour Urban Exploration). Et si je m’y adonne pour le principal intérêt photographique de la chose, beaucoup le font par simple désir d’aller au-delà des limites imposées. Et j’avoue que c’est un aspect qui m’a toujours plu également — le nom de l’activité paraît exagéré mais il y a bel et bien un côté exploration à la chose. Un lieu abandonné étant quasi tout le temps condamné, une bonne partie du travail consiste à trouver le point d’entrée et ce, malgré les nombreux panneaux, cadenas et issues murées qui se dressent usuellement sur ma route. Tenir tête à l’interdit de telle manière, c’est quelque part à la fois excitant et gratifiant ; quelque chose de puissant dans l’acte de marcher tête haute devant les mille et une chaînes malhabilement jetées en travers du chemin, pour enfin écarter un bout de grillage et se faufiler telle une ombre. Par-delà les frontières imposées et les interdits restés non-dits.
L’exploration urbaine c’est accepter de plonger dans le plus absolu des inconnu, là où même les yeux des abysses ne portent, et affronter les risques qu’on pourrait rencontrer.

Risques oui car il y a tout d’abord le facteur humain qui, s’il reste rare, n’est pas à négliger. De tous les lieux que j’ai arpentés, pas un n’avait été traversé des vagues destructrices des divers squatteurs et sans abris. C’est une constante, un peu comme si à la fermeture d’un lieu, on y envoyait une équipe chargée de renverser les meubles, déchirer le papier-peint et disperser quelque menues bouteilles vides pour le côté « authentique » de la chose. Peu importe que l’endroit ait été fermé récemment ou pas, tous portent ces mêmes stigmates caractéristiques qu’inconsciemment on a appris à reconnaître : le verre cassé, les tags sur les murs… Mais surtout ces objets modernes et propres qu’on repère à des kilomètres de distance, jetés entre les dunes de débris et poussière comme des oasis égarées.

Risque aussi car un lieu délabré et condamné l’est souvent à raison : infrastructures fébriles pour les maisons, dangers biologiques pour les friches industrielles, et accessoirement, l’éternel risque de ne jamais retrouver son chemin vers la sortie. L’exploration urbaine ça englobe tant les friches que les catacombes et nombre sont ceux s’étant aventurés dans les dédales sous-terrains d’une quelconque usine sans que jamais on ne les voit en remonter. C’est toujours quelque chose que j’ai trouvé glacial : la simple pensée que l’homme ait un jour pu percer dans la terre des couloirs infinis au cœur desquels il se perdrait lui-même.
Je ne pense pas un jour pouvoir faire de photos dans de tels lieux : l’oppression seule de ne pas voir la lumière du jour élèverait de véritables couleuvres d’angoisses le long de ma colonne vertébrale. Je reconnais toutefois le mérite et le courage de ceux qui osent s’enfoncer toujours plus loin dans un labyrinthe, par pur goût de l’exploration ou de la photographie.

09 (No Mercy)

No Mercy - Sans titre

Altérations partielles

C’est sans doute quelque chose qui va se voir en regardant mes photos, mais je fais partie des gens qui pensent qu’une image n’est pas tant faite pour refléter la réalité, mais plus refléter la vision du photographe — montrer ce qu’il y a derrière plutôt que devant l’objectif. De fait je n’ai jamais réellement trouvé culpabilité dans le fait de retoucher mes photos, bien que cela soit en partie dû au fait que ma manière de les retoucher a grandement évolué.
Quand j’ai commencé la photo, venant de milieux où il m’arrivait souvent d’avoir à créer une ambiance sur Photoshop en partant de zéro, j’ai eu tendance à avoir la main lourde sur mes premiers clichés. J’isolais certaines couleurs, je modifiais vastement la luminosité et la profondeur d’éléments… en un mot comme en cent je traitais mes images comme j’aurais traité n’importe quoi d’autre : sans forcément de respect pour le travail photographique en lui-même. C’est aussi dû au fait qu’à l’époque j’apportais beaucoup (trop) d’importance au concept de “photo”, je ne les publiais qu’une par une, les titrais toutes, leur mettait un cadre, et au final les posais à tort sur un piédestal. Et plus j’avançais, et plus les critiques négatives se faisaient grandissantes. Me voyant accusé de « maquiller la réalité », j’ai lentement perdu confiance en moi jusqu’à arrêter de sortir pour prendre des photos. J’ai posé mon appareil de l’époque – un petit compact – et ai attendu.

L'Aîné

Exemple d'une des photos de l'époque : L'Aîné (2008)

Puis au noël suivant j’ai eu mon premier reflex, celui que j’ai encore aujourd’hui. Et lors d’une randonnée que je devais faire avec mon père j’ai décidé de prendre des photos tout du long. Je suis revenu chez moi avec une série d’une vingtaine d’images, maladroites certes, mais que je n’avais pas touchées. Je les avais montrées telles qu’elles, sans titre ni cadre, à la suite les unes des autres. Unies seulement par le sentiment de cohérence qui se dégageait des couleurs et de l’ambiance de l’ensemble. C’était ma toute première série et le début d’un long parcours. De là j’ai commencé à ne plus retoucher si ce n’est les réglages habituels de chaque photographe : pousser un peu les contrastes par-ci, rehausser la lumière d’appoint par là…
Il n’a pas fallu quelques mois avant que je retombe dans l’excès et sorte des photos surcontrastées et visuellement violentes. Toujours en modifiant les mêmes paramètres – je n’étais pas revenu complètement en arrière – mais telle de l’eau qui trouve toujours passage, mon naturel avait trouvé moyen de revenir à ses envolées artificielles. En résultait des photos sombres, beaucoup trop de pseudo noir et blancs, et j’en passe. Les critiques ont a nouveau grondé et la main tremblante sur mon appareil, j’ai courbé l’échine et me suis rangé une seconde fois.

1

Exemple d'une des photos de l'époque : Lame de fond (2009)

Le temps passa, et de la même manière que c’est une randonnée qui m’avait ramené à la raison la première fois, ma seconde remontée vers l’air libre se fit happé dans les mailles omniprésentes de la nature. Durant l’été 2009 je suis parti en sortie photo avec ma cousine dans un village de montagne où j’avais été durant mon enfance. Quand je suis rentré chez moi je n’ai pas eu l’envie de faire quoi que ce soit à ces images tombées dans mes mains presque par hasard. Je me suis juré de ne plus jamais tromper la réalité comme je l’avais fait dans le passé, ai attendu six mois, et en plein coeur de l’hiver j’ai pour la première fois fait succession à ma série des choses mortes en allant visiter une gare abandonnée.
Ma volonté à l’époque et aujourd’hui encore fut de rompre visuellement avec mes séries précédentes en me focalisant sur une technique nommée le virage partiel, plus particulièrement le split toning. Le toning en soi consiste à faire virer la teinte dominante d’une image vers une autre : rendre la photo légèrement plus verte, plus bleue, plus jaune. Comme dans un film où les scènes glaciales sont voilées de ce sombre masque cobalt. Le split toning c’est la même chose mais en mêlant deux couleurs : pour moi du brun et du vert.

Ça a donné des photos légèrement orangées par moment, légèrement vertes de l’autre, parfois bleues. Mais surtout cela donnait au tout une ambiance reconnaissable immédiatement, celle de vieilles photos aux couleurs hésitantes. Et dans ma démarche des choses mortes ça a toujours été quelque chose que j’ai recherché : faire passer en une image le sentiment d’être transporté à une autre époque, un autre lieu. Capturer un bâtiment en ruines dévoré par le temps, et l’espace de quelques instants, pouvoir montrer au monde une image qu’on aurait pu prendre dans les fonds de l’union soviétique il y a trente ans.

0104 - Tunguska
051

Mai 1965 (dominante verte) - Tunguska (mélange brun/vert) - Sans titre (dominante brun) - Sans titre (dominante bleue)

C’est entre autre cet aspect qui m’avait capturé lors de ma visite de la maison abandonné. Ces hordes de magazines des années 50, 60, ces vieux vinyles, ces objets dont le but s’est estompé dans les années. Visiter un lieu défunt c’est se mettre soudainement à s’imaginer qui a vécu là et comment ils y ont vécu ; c’est se plonger dans le quotidien de bâtiments redevenus poussière. Je me suis toujours demandé comment était la vie dans les décennies passées — comment vivaient, respiraient et s’amusaient les gens par-delà les filtres sépias et le trouble des noirs et blancs. Et c’est une question qui frustre parce que la réponse est si proche qu’elle en est terrifiante. Nous sommes entourés de gens ayant vécus en des temps qu’on n’arrive même plus à concevoir autre que par grandes dates, pendant que l’intérêt tout comme les souvenirs restants de ces époques, se calcinent graduellement dans les flammes véloces de la modernité.
C’est ça que j’ai voulu montrer et c’est ça que par moments je pense accomplir. Alors même si j’ai sans doute tendance à encore trop toucher mes photos, leur aspect convient à ma vision actuelle des choses. Évoluer c’est se réinventer perpétuellement, s’améliorer, changer sa perception du monde.
Moi par touches de brun et de vert, je couche sur image ce que mon esprit voit. Plutôt que ce que l’appareil, dans toute sa duperie et son incapacité à ne pas copier la réalité, veut me montrer. Ça ne veut pas dire que ma petite vérité vaut plus que celle du voisin, ça veut simplement dire qu’elle a le mérite d’être réellement mienne et de surcroît, d’être sincère.

0319

Sans titres

Excroissance

Je parlais peu avant de se réinventer et il y a un point sur lequel j’ai beaucoup évolué au fil du temps. À mesure que j’avançais dans ma reconquête des fantômes de l’urbanisme, mon ambition vis-à-vis d’eux grandissait. Moi qui avais commencé mon parcours par la menue porte d’une maison, j’avais bien vite projeté mes excursions dans des fantasmes de toute autre envergure. Des gares, des hôpitaux, jusqu’à mon accomplissement personnel de la visite d’un projet de lotissement et ses sept bâtiments de quatre étages. Mais toute comme l’ennui peut naître des choses dont on se délecte le plus, il me manquait un sentiment de progression et cette envie de mettre en scène comme je l’avais fait avec les passants lors de mes envolées en ville. Alors un jour j’ai posé mon trépied, et ai plongé de l’autre côté de l’objectif — une première fois, puis une seconde, puis encore et encore jusqu’à ce que mes autoportraits cannibalisent les autres types de photos que j’avais pris l’habitude d’employer.

Mes postures furent dans un premier temps lâches, au mieux. J’avais peur de la caméra et de ce qu’elle pouvait montrer de moi, je me dissimulais sous les ombres, baissait la tête ou ne laissait entrevoir que de minces parcelles d’expressions neutres. Se prendre en photo pour la première fois quand on a la volonté de montrer son travail au reste du monde, c’est un exercice au combien difficile. Il est aisé de prendre n’importe qui en photo et de laisser l’image parler, parce qu’importe ce qu’elle semblera dire ce sera un message qui nous conviendra. Si la personne laisse échapper un sourire complice, et bien tant mieux, cela montrera à quel point elle est malicieuse ! Qu’elle le soit ou pas n’importe pas réellement, le résultat est là. C’est un tout autre enjeu de s’autocapturer, parce qu’on a conscience de qui on est et de ce qu’on veut faire transparaître dans le visuel. Et arriver à une émotion précise plutôt que la première venue, c’est un combat perpétuel entre l’objectif et soi-même.

05 (Le Serpent et l'Arc-en-ciel)06 (Terre d'Asile)

Le Serpent et l'Arc-en-ciel - Terre d'Asile

Avec les séries j’ai pris de l’assurance, ai accepté ce que les gens verraient de moi en image. De là j’ai pu me mettre en scène — je n’étais plus moi-même couché sur papier, j’étais une silhouette inconnue sur fond de statique. Plus que visiter les lieux, je voulais les habiter ; j’avais trouvé fascination dans le contraste crée par l’insertion artificielle d’une notion de vie en des décors qui, s’ils avaient un jour respiré le même air que nous, ne s’animaient désormais plus qu’au rythme du feu d’ombres qu’était le passage du jour à la nuit.
C’était un peu comme replacer un poisson dans un aquarium vide.

Je continue aujourd’hui encore à faire de la photo même si mes séries se sont faites rares. N’étant pas dans une région où abondent les bâtiments abandonnés, je me nourris des quelques occasions qui se présentent à moi, tout en cultivant dans un coin la crainte de ne plus jamais retrouver d’endroit comme ceux que j’ai déjà visités. Plus qu’une phobie de la page blanche, il y a plutôt à imaginer une pénurie mondiale de papier, ne me laissant plus que moi seul avec mon appareil.
Bien sûr un bon photographe ne trouve pas le sujet, il le conçoit à partir des maigres éléments que son environnement daigne lui tendre. De mon côté, je ne fais qu’attendre que le sujet se pose sur ma main comme un insecte curieux.
Ce ne sont pas des photographies, ce sont des papillons.

2007

Sans titre - L'Ouragan

Il y aurait sûrement d’autres choses à dire, mais cet article est déjà plus long que de raison. En espérant vous retrouver sur ce blog avec le reste de l’équipe pour partager cette étincelle créative en chacun qui fait que plus qu’une agence de communication, nous sommes des personnes prenant à cœur la création et l’originalité en elle-même.

© 2020 - Emma Fabre - About

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Quatre ans en images

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Le champ des thèmes que j’aurais pu aborder pour ce premier article était vaste : il y a nombre de domaines que je côtoie ou pratique et qui auraient pu figurer sur notre blog. Puis après réflexion je me suis dit que quitte à parler image et à faire le pont avec la communication, le choix le plus judicieux serait de parler photographie. Pourquoi ? Parce que la photo - de mon point de vue tout du moins - c’est à moitié de l’instinct et à moitié de la connaissance. Deux choses qui sont essentielles pour faire du bon travail de manière générale qu’il s’agisse de print ou de webdesign ; savoir composer quelque chose, allier les couleurs ou les formes. Faire de l’image et la capturer, c’est aussi étroitement lié que composer et décomposer une musique.

Premiers pas

Il y aura sûrement d’autres articles photo sur ce blog parce que dans l’équipe c’est une passion qui revient souvent – ce qui est intéressant c’est que des bagages différents de chacun découlent des approches différentes. Quand j’ai personnellement commencé à faire de la photo, en mars 2007, c’était plus par principe, me dire « Ce serait intéressant de faire de la photo » plutôt qu’une envie réelle de tâter l’objectif. Puis j’ai été accroché, et j’ai continué à faire mes escapades avec pour but de chaque fois me rendre dans une ville différente et de faire des séries comme ça. Ma démarche de l’époque était simple : mettre en image les détails, textures et autres teintes que les gens croisent tous les jours sans pour autant que leurs yeux ne voient réellement. Un peu comme du Christo sauf qu’au lieu d’emballer, je voulais déballer au grand jour.
De nombreuses fois je me suis amusé aux jeux d’abstractions, d’oppositions ou de symétries. Jouer sur le détail, sur la couleur, prendre d’infimes pans de murs et ressortir de vastes murailles monochromes — c’est important parce qu’au fur et à mesure de ma démarche c’est un goût que j’ai conservé et c’est une volonté qui se lit aujourd’hui encore dans mes séries.

01

Diagonales

Les choses mortes

J’ai continué comme ça à aller de ville en ville autour de moi jusqu’à inéluctablement être à court d’endroits à visiter. Et après un premier jet d’une grosse poignée de séries allant du paysage au portrait sur fond de vagabondage urbain, je suis revenu à une série en particulier que j’avais pris un plaisir malsain à faire : Les choses mortes. C’était une série que j’avais faite durant l’automne 2009 et qui consistait pour moi en une sorte d’exorcisation d’une de mes vieilles peurs. Durant toute mon enfance j’avais vécu près d’une grande bâtisse abandonnée, encagée par un abstrait chaos d’arbres et d’herbes, et c’est une maison que longtemps j’avais cru, disons, « hantée ». Plus tard j’ai grandi au-delà de cette idée, mais j’avais gardé en moi une curiosité quant à ce que les murs meurtris de la demeure recelaient vraiment.
Alors un jour j’ai pris mon courage à deux mains – mon appareil photo dans la troisième – et j’ai escaladé ce qui restait du mur d’enceinte. J’avais passé quelques heures dans la maison à y photographier chaque parcelle dépérie de pièces laissées sans vie. Tout m’avait fasciné à l’intérieur. De l’aléatoire qui, par couches et surcouches d’objets, avait inondé les couloirs, en passant par les vestiges figés d’une époque passée. Mais surtout, j’avais trouvé là un terrain de jeu magistral à mes essais visuels. Il y a une complexité, une richesse visuelle dans des dégradations telles la rouille ou le papier-peint calciné que je n’ai jamais retrouvé ailleurs. Si j’avais eu un objectif macro j’aurais passé des heures à recadrer bosselures jusqu’à ce qu’elles n’aient plus l’air que de collines maladroites enlacées par des terres de feu.

08b - Corrasion30

Exemples de richesse dans les palettes et textures de la dégradation

J’ai réfléchi longtemps au plaisir que j’avais pris à pénétrer l’inconnu pour en ressortir avec ce que nul œil n’avait vu, et de là j’ai réorienté mon style et ai fait de mon devoir de collecter autour de moi les lieux morts qui me venaient. Comme des papillons sur un mur, je m’étais mis en tête de visiter chacune de ces visions d’abandon devant lesquelles les gens passent en voiture ou à pied en se murmurant tout bas « Des fois je me demande ce qu’il peut y avoir dedans ».
Moi, je savais. J’avais foulé du pas ces lieux esseulés et m’était laissé absorber par leur atmosphère aliénante. Les complexes arabesques rousses de métal décrépi, les murs arrachés, et l’eau croupie qui par vastes traînées venait assombrir le papier peint et gorger le plancher. Il y en a qui aiment prendre des centaines d’images d’infinis paysages, moi je m’étais épris des recoins enténébrés qui les choses mortes accueillent.

05 - The Life and Death of a Wasp1

The Life and Death of a Wasp - Sans titre

Forteresses techniques

Mon parcours a de longs mois durant continué comme ça. Je repérais un endroit que j’estimais futur théâtre de mes errances, je m’armais de mon appareil, et avec la retenue d’un courant d’air passant dans l’embrasure d’une porte, je m’insufflais par la première fenêtre cassée que je trouvais. Photographier dans des lieux abandonnés m’offrait un tout nouveau challenge technique, parce que cela revenait à prendre des images dans les pires conditions imaginables — et à aimer ça. Nombre des séries que j’ai faites se sont déroulées dans les lieux ou peu voire pas de lumière ne filtre, où l’exiguïté de chaque pièce me faisait sans cesse chercher des angles nouveaux. J’ai essayé un, puis deux, puis trois trépieds avant d’en trouver un capable de se positionner de manière stable entre des piles de décombres, tout en me permettant de l’emmener par Dieu sait quelle ouverture s’étant percé dans le béton des murs.

Ce manque de luminosité a très vite donné du fil à retordre à mon appareil — depuis le début de ma démarche des « Choses Mortes » à aujourd’hui j’ai travaillé avec un Canon EOS 350D. Un appareil qui s’il a des qualités indéniables, souffre de son ancienneté et a tendance à très vite voiler les images de grain, même en réglant l’ISO au plus bas. Pour les non initiés, je laisse Wikipedia expliquer à ma place :

Plus la valeur de la sensibilité est élevée, plus la pellicule (ou le capteur) est sensible à la lumière, et donc plus la quantité de lumière nécessaire à une exposition correcte est faible. Si l’on peut être tenté de prendre systématiquement une pellicule de forte sensibilité (de type ISO 400/27° par exemple), il faut savoir que cela a une influence sur l’image finale - par exemple, un film rapide montre un grain plus prononcé et une définition plus faible qu’un film lent.

Dans les lieux sans lumière comme ceux-ci, ce temps devient vite le rival de vos clichés réussis : la moindre microseconde en trop peut rendre l’image floue, et sur le petit écran de l’appareil c’est quelque chose qui ne se remarque pas forcément. J’ai raté de nombreuses images comme ça, et aujourd’hui encore j’appuie une bonne dizaine de fois sur le déclencheur – par paranoïa – juste pour être sûr d’avoir la photo que j’avais en tête.
Maintenant que je me suis fait à l’idée que mes images ne seront jamais parfaites j’ai plus ou moins appris à faire avec ce grain et quelque part j’en ai fait un sceau d’authenticité. À la manière de vieux films que l’on reconnaît aux cicatrices de leur pellicule, j’ai mêlé ce bruit visuel à ce qui faisait que mes photos étaient de réels témoignages des endroits que j’ai visités.

0809

Sans titre - Out through the winter throat

La frontière noire

Il est à savoir que – en France ou ailleurs – je suis loin d’être le seul à m’être mis en tête de revisiter les vestiges encore chauds du passage de l’homme. Le terme officiel englobant la chose étant « l’urbex » (pour Urban Exploration). Et si je m’y adonne pour le principal intérêt photographique de la chose, beaucoup le font par simple désir d’aller au-delà des limites imposées. Et j’avoue que c’est un aspect qui m’a toujours plu également — le nom de l’activité paraît exagéré mais il y a bel et bien un côté exploration à la chose. Un lieu abandonné étant quasi tout le temps condamné, une bonne partie du travail consiste à trouver le point d’entrée et ce, malgré les nombreux panneaux, cadenas et issues murées qui se dressent usuellement sur ma route. Tenir tête à l’interdit de telle manière, c’est quelque part à la fois excitant et gratifiant ; quelque chose de puissant dans l’acte de marcher tête haute devant les mille et une chaînes malhabilement jetées en travers du chemin, pour enfin écarter un bout de grillage et se faufiler telle une ombre. Par-delà les frontières imposées et les interdits restés non-dits.
L’exploration urbaine c’est accepter de plonger dans le plus absolu des inconnu, là où même les yeux des abysses ne portent, et affronter les risques qu’on pourrait rencontrer.

Risques oui car il y a tout d’abord le facteur humain qui, s’il reste rare, n’est pas à négliger. De tous les lieux que j’ai arpentés, pas un n’avait été traversé des vagues destructrices des divers squatteurs et sans abris. C’est une constante, un peu comme si à la fermeture d’un lieu, on y envoyait une équipe chargée de renverser les meubles, déchirer le papier-peint et disperser quelque menues bouteilles vides pour le côté « authentique » de la chose. Peu importe que l’endroit ait été fermé récemment ou pas, tous portent ces mêmes stigmates caractéristiques qu’inconsciemment on a appris à reconnaître : le verre cassé, les tags sur les murs… Mais surtout ces objets modernes et propres qu’on repère à des kilomètres de distance, jetés entre les dunes de débris et poussière comme des oasis égarées.

Risque aussi car un lieu délabré et condamné l’est souvent à raison : infrastructures fébriles pour les maisons, dangers biologiques pour les friches industrielles, et accessoirement, l’éternel risque de ne jamais retrouver son chemin vers la sortie. L’exploration urbaine ça englobe tant les friches que les catacombes et nombre sont ceux s’étant aventurés dans les dédales sous-terrains d’une quelconque usine sans que jamais on ne les voit en remonter. C’est toujours quelque chose que j’ai trouvé glacial : la simple pensée que l’homme ait un jour pu percer dans la terre des couloirs infinis au cœur desquels il se perdrait lui-même.
Je ne pense pas un jour pouvoir faire de photos dans de tels lieux : l’oppression seule de ne pas voir la lumière du jour élèverait de véritables couleuvres d’angoisses le long de ma colonne vertébrale. Je reconnais toutefois le mérite et le courage de ceux qui osent s’enfoncer toujours plus loin dans un labyrinthe, par pur goût de l’exploration ou de la photographie.

09 (No Mercy)

No Mercy - Sans titre

Altérations partielles

C’est sans doute quelque chose qui va se voir en regardant mes photos, mais je fais partie des gens qui pensent qu’une image n’est pas tant faite pour refléter la réalité, mais plus refléter la vision du photographe — montrer ce qu’il y a derrière plutôt que devant l’objectif. De fait je n’ai jamais réellement trouvé culpabilité dans le fait de retoucher mes photos, bien que cela soit en partie dû au fait que ma manière de les retoucher a grandement évolué.
Quand j’ai commencé la photo, venant de milieux où il m’arrivait souvent d’avoir à créer une ambiance sur Photoshop en partant de zéro, j’ai eu tendance à avoir la main lourde sur mes premiers clichés. J’isolais certaines couleurs, je modifiais vastement la luminosité et la profondeur d’éléments… en un mot comme en cent je traitais mes images comme j’aurais traité n’importe quoi d’autre : sans forcément de respect pour le travail photographique en lui-même. C’est aussi dû au fait qu’à l’époque j’apportais beaucoup (trop) d’importance au concept de “photo”, je ne les publiais qu’une par une, les titrais toutes, leur mettait un cadre, et au final les posais à tort sur un piédestal. Et plus j’avançais, et plus les critiques négatives se faisaient grandissantes. Me voyant accusé de « maquiller la réalité », j’ai lentement perdu confiance en moi jusqu’à arrêter de sortir pour prendre des photos. J’ai posé mon appareil de l’époque – un petit compact – et ai attendu.

L'Aîné

Exemple d'une des photos de l'époque : L'Aîné (2008)

Puis au noël suivant j’ai eu mon premier reflex, celui que j’ai encore aujourd’hui. Et lors d’une randonnée que je devais faire avec mon père j’ai décidé de prendre des photos tout du long. Je suis revenu chez moi avec une série d’une vingtaine d’images, maladroites certes, mais que je n’avais pas touchées. Je les avais montrées telles qu’elles, sans titre ni cadre, à la suite les unes des autres. Unies seulement par le sentiment de cohérence qui se dégageait des couleurs et de l’ambiance de l’ensemble. C’était ma toute première série et le début d’un long parcours. De là j’ai commencé à ne plus retoucher si ce n’est les réglages habituels de chaque photographe : pousser un peu les contrastes par-ci, rehausser la lumière d’appoint par là…
Il n’a pas fallu quelques mois avant que je retombe dans l’excès et sorte des photos surcontrastées et visuellement violentes. Toujours en modifiant les mêmes paramètres – je n’étais pas revenu complètement en arrière – mais telle de l’eau qui trouve toujours passage, mon naturel avait trouvé moyen de revenir à ses envolées artificielles. En résultait des photos sombres, beaucoup trop de pseudo noir et blancs, et j’en passe. Les critiques ont a nouveau grondé et la main tremblante sur mon appareil, j’ai courbé l’échine et me suis rangé une seconde fois.

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Exemple d'une des photos de l'époque : Lame de fond (2009)

Le temps passa, et de la même manière que c’est une randonnée qui m’avait ramené à la raison la première fois, ma seconde remontée vers l’air libre se fit happé dans les mailles omniprésentes de la nature. Durant l’été 2009 je suis parti en sortie photo avec ma cousine dans un village de montagne où j’avais été durant mon enfance. Quand je suis rentré chez moi je n’ai pas eu l’envie de faire quoi que ce soit à ces images tombées dans mes mains presque par hasard. Je me suis juré de ne plus jamais tromper la réalité comme je l’avais fait dans le passé, ai attendu six mois, et en plein coeur de l’hiver j’ai pour la première fois fait succession à ma série des choses mortes en allant visiter une gare abandonnée.
Ma volonté à l’époque et aujourd’hui encore fut de rompre visuellement avec mes séries précédentes en me focalisant sur une technique nommée le virage partiel, plus particulièrement le split toning. Le toning en soi consiste à faire virer la teinte dominante d’une image vers une autre : rendre la photo légèrement plus verte, plus bleue, plus jaune. Comme dans un film où les scènes glaciales sont voilées de ce sombre masque cobalt. Le split toning c’est la même chose mais en mêlant deux couleurs : pour moi du brun et du vert.

Ça a donné des photos légèrement orangées par moment, légèrement vertes de l’autre, parfois bleues. Mais surtout cela donnait au tout une ambiance reconnaissable immédiatement, celle de vieilles photos aux couleurs hésitantes. Et dans ma démarche des choses mortes ça a toujours été quelque chose que j’ai recherché : faire passer en une image le sentiment d’être transporté à une autre époque, un autre lieu. Capturer un bâtiment en ruines dévoré par le temps, et l’espace de quelques instants, pouvoir montrer au monde une image qu’on aurait pu prendre dans les fonds de l’union soviétique il y a trente ans.

0104 - Tunguska
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Mai 1965 (dominante verte) - Tunguska (mélange brun/vert) - Sans titre (dominante brun) - Sans titre (dominante bleue)

C’est entre autre cet aspect qui m’avait capturé lors de ma visite de la maison abandonné. Ces hordes de magazines des années 50, 60, ces vieux vinyles, ces objets dont le but s’est estompé dans les années. Visiter un lieu défunt c’est se mettre soudainement à s’imaginer qui a vécu là et comment ils y ont vécu ; c’est se plonger dans le quotidien de bâtiments redevenus poussière. Je me suis toujours demandé comment était la vie dans les décennies passées — comment vivaient, respiraient et s’amusaient les gens par-delà les filtres sépias et le trouble des noirs et blancs. Et c’est une question qui frustre parce que la réponse est si proche qu’elle en est terrifiante. Nous sommes entourés de gens ayant vécus en des temps qu’on n’arrive même plus à concevoir autre que par grandes dates, pendant que l’intérêt tout comme les souvenirs restants de ces époques, se calcinent graduellement dans les flammes véloces de la modernité.
C’est ça que j’ai voulu montrer et c’est ça que par moments je pense accomplir. Alors même si j’ai sans doute tendance à encore trop toucher mes photos, leur aspect convient à ma vision actuelle des choses. Évoluer c’est se réinventer perpétuellement, s’améliorer, changer sa perception du monde.
Moi par touches de brun et de vert, je couche sur image ce que mon esprit voit. Plutôt que ce que l’appareil, dans toute sa duperie et son incapacité à ne pas copier la réalité, veut me montrer. Ça ne veut pas dire que ma petite vérité vaut plus que celle du voisin, ça veut simplement dire qu’elle a le mérite d’être réellement mienne et de surcroît, d’être sincère.

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Sans titres

Excroissance

Je parlais peu avant de se réinventer et il y a un point sur lequel j’ai beaucoup évolué au fil du temps. À mesure que j’avançais dans ma reconquête des fantômes de l’urbanisme, mon ambition vis-à-vis d’eux grandissait. Moi qui avais commencé mon parcours par la menue porte d’une maison, j’avais bien vite projeté mes excursions dans des fantasmes de toute autre envergure. Des gares, des hôpitaux, jusqu’à mon accomplissement personnel de la visite d’un projet de lotissement et ses sept bâtiments de quatre étages. Mais toute comme l’ennui peut naître des choses dont on se délecte le plus, il me manquait un sentiment de progression et cette envie de mettre en scène comme je l’avais fait avec les passants lors de mes envolées en ville. Alors un jour j’ai posé mon trépied, et ai plongé de l’autre côté de l’objectif — une première fois, puis une seconde, puis encore et encore jusqu’à ce que mes autoportraits cannibalisent les autres types de photos que j’avais pris l’habitude d’employer.

Mes postures furent dans un premier temps lâches, au mieux. J’avais peur de la caméra et de ce qu’elle pouvait montrer de moi, je me dissimulais sous les ombres, baissait la tête ou ne laissait entrevoir que de minces parcelles d’expressions neutres. Se prendre en photo pour la première fois quand on a la volonté de montrer son travail au reste du monde, c’est un exercice au combien difficile. Il est aisé de prendre n’importe qui en photo et de laisser l’image parler, parce qu’importe ce qu’elle semblera dire ce sera un message qui nous conviendra. Si la personne laisse échapper un sourire complice, et bien tant mieux, cela montrera à quel point elle est malicieuse ! Qu’elle le soit ou pas n’importe pas réellement, le résultat est là. C’est un tout autre enjeu de s’autocapturer, parce qu’on a conscience de qui on est et de ce qu’on veut faire transparaître dans le visuel. Et arriver à une émotion précise plutôt que la première venue, c’est un combat perpétuel entre l’objectif et soi-même.

05 (Le Serpent et l'Arc-en-ciel)06 (Terre d'Asile)

Le Serpent et l'Arc-en-ciel - Terre d'Asile

Avec les séries j’ai pris de l’assurance, ai accepté ce que les gens verraient de moi en image. De là j’ai pu me mettre en scène — je n’étais plus moi-même couché sur papier, j’étais une silhouette inconnue sur fond de statique. Plus que visiter les lieux, je voulais les habiter ; j’avais trouvé fascination dans le contraste crée par l’insertion artificielle d’une notion de vie en des décors qui, s’ils avaient un jour respiré le même air que nous, ne s’animaient désormais plus qu’au rythme du feu d’ombres qu’était le passage du jour à la nuit.
C’était un peu comme replacer un poisson dans un aquarium vide.

Je continue aujourd’hui encore à faire de la photo même si mes séries se sont faites rares. N’étant pas dans une région où abondent les bâtiments abandonnés, je me nourris des quelques occasions qui se présentent à moi, tout en cultivant dans un coin la crainte de ne plus jamais retrouver d’endroit comme ceux que j’ai déjà visités. Plus qu’une phobie de la page blanche, il y a plutôt à imaginer une pénurie mondiale de papier, ne me laissant plus que moi seul avec mon appareil.
Bien sûr un bon photographe ne trouve pas le sujet, il le conçoit à partir des maigres éléments que son environnement daigne lui tendre. De mon côté, je ne fais qu’attendre que le sujet se pose sur ma main comme un insecte curieux.
Ce ne sont pas des photographies, ce sont des papillons.

2007

Sans titre - L'Ouragan

Il y aurait sûrement d’autres choses à dire, mais cet article est déjà plus long que de raison. En espérant vous retrouver sur ce blog avec le reste de l’équipe pour partager cette étincelle créative en chacun qui fait que plus qu’une agence de communication, nous sommes des personnes prenant à cœur la création et l’originalité en elle-même.

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