Autopergamene

Nadja: Shattered by your Abrasive Touch

article🇫🇷 françaisPublished 2010-09-05MusicReview16mn to read
Nadja: Shattered by your Abrasive Touch

You ever read any Nietzsche? Nietzsche says there are two kinds of people in the world : people who are destined for greatness, like Walt Disney and Hitler. And then there’s the rest of us. He called us “the bungled and the botched” — we get teased, we sometimes get close to greatness… but we never get there. We’re the expendable masses. We get pushed in front of trains, take poison aspirin, get gunned down in Dairy Queens. […]

You’re a good kid, you say no to drugs… But you ever get the feeling sometimes, you’re being punished for your sins?

C’est amusant comme les groupes qui s’ancrent assez pour finir en article, ne font au final que rarement partie du lot des « groupes que X ou Y m’ont vivement recommandés ». Plus couramment ce sont même au contraire ceux sur lesquels je tombe par hasard et qui m’accrochent au détour d’un passage furtif ; ces noms lâchés dans le recoin d’une phrase qui simplement m’intriguent tant par leur pochette ou concept que je me dois de leur prêter attention. Nadja est un groupe entre tout cela : on me l’avait certes conseillé à quelques reprises il y a longtemps de cela mais depuis le nom s’était évanoui dans le flou de nouvelles découvertes musicales. Puis en période de pleine sécheresse – les oreilles brûlantes d’un désir d’écouter quelque chose de nouveau – je me suis aventuré sur Spotify et ai lancé au hasard un album de ce Nadja qui tapi dans sa zone d’ombre dans un angle mort de ma mémoire, me hantait passivement.

Parce que je me dois de décrire cela d’une quelque manière : Nadja est un groupe aux inspirations diverses dont la classification tombe dans le drone. Sans d’aucune façon vouloir me prétendre connaisseur du genre dans son ensemble, de ce que j’en sais et comprends, le drone est une musique souvent instrumentale qui se caractérise par la création et le maniement de couches et murs de sons semblables à ceux du post-rock, du shoegaze ou encore du noise. Il tient son nom de ces notes longues, répétées ou prolongées dont il est originellement conçu, communément appelées « drones » — la note drone en soi n’étant pas propre au genre puisqu’étant vastement utilisée à travers le monde et les cultures (le Didgeridoo par exemple est une musique usant de drones). Dans le cas de Nadja et de sans doute de nombre d’autres groupes du genre, les drones sont des notes qui en quelque sorte vivent indépendamment de la mélodie et des partitions puisqu’ici désignant les différentes couches de sons. Elles naissent, prennent de l’ampleur, absorbent l’auditeur et enveloppe la musique, mais ne sont ni réellement contrôlables ni complètement indomptables. Ce sont des plaines de son ; de pleines plages qui ni composées ou écrites, font partie intégrante de la musique. La plupart des travaux du groupe se veulent ainsi relativement peu rapides en rythme, ce en partie dû à ce son laminant qui de sa présence monolithique résonne et requiert des temps de battement après chaque impact de guitare. Les pistes qu’on rattache au drone sont très souvent conséquentes en longueur, parfois extrêmement complexes ou parfois juste ambiantes. Empruntes de variations d’atmosphères, thèmes et styles qui peuvent changer d’un album à un artiste à un autre. L’un des sous-genres les plus proéminents du drone étant le drone metal (ou drone doom), genre auquel Nadja entre autres choses se rattache.

1dad4708 e044 802f 8634 ef32a2e785fd Nadja derrière son nom lancinant est un duo canadien composé d’Aidan Baker et de Leah Buckareff. Dans la manière dont il a été originellement conçu, il ne devait être qu’un projet solo d’Aidan censé lui permettre d’explorer de nouvelles facettes de sa musique alors ancrée dans l’acoustique, l’expérimental et l’ambiant. C’était un moyen d’intensifier son style, de lui donner une dimension plus sombre voire plus féroce, teintée de références aux artistes l’ayant bercé. Bref, Nadja était un projet de studio qui n’était implicitement destiné qu’à étendre le champ musical de son seul membre, le nom étant même à l’origine une simple inversion d’Aidan (Nadia), orthographié Nadja « in order to reference the Nadja character from Breton’s book and Elena Lowenstein’s character from the vampire movie ».

Les premiers albums sortis de la gorge ardente du groupe sont en marge dans son historique puisque datés d’avant l’arrivée de Leah. Il est difficile de faire la part de ce qu’elle a apporté à Nadja — outre sa basse. Toujours est-il qu’il est impossible de ne pas remarquer à quel point les albums datant d’avant son arrivée sont sombres, et que plus le temps a passé après cela et plus les thèmes se sont fait neutres et complexes, jusqu’à aujourd’hui avec Autopergamene que personnellement je considère comme l’histoire d’une relation, bien que tragique, certes. À vrai dire en parlant de relation, même celle d’Aidan et Leah n’est pas réellement claire. Certains disent qu’ils sont fiancés, d’autres non certes, mais s’ils l’étaient ce serait bien la preuve que l’arrivée de cette petite bassiste canadienne relieuse de livres fut l’un des points clés de l’histoire du groupe.

Après trois mois la tête enfoncée dans les différents tableaux que chaque album dans toute son individualité, décrit, mon avis sur Nadja est on ne peut plus positif. C’est assurément non seulement une de mes meilleures découvertes de cette année, mais aussi désormais un de mes groupes les plus écoutés toutes périodes confondues. De par son style imposant et ses pistes qui absorbent et se jouent de l’imagination de l’auditeur, Nadja a su dès les premières écoutes se révéler magistral à mes yeux. Tout n’est pas à garder, ce serait faux que de prétendre le contraire, mais les albums qui m’ont happés l’ont fait avec tant de brio que l’enthousiasme dont j’ai fait preuve à les redécouvrir m’a moi-même surpris. Je disais dans un article précédent, « j’écoute ma musique presque autant pour son concept que pour ce qu’elle m’apporte » et Nadja est définitivement un groupe qui dans tout l’expérimental de sa classification a su m’abreuver de paysages à imager, d’histoires à composer et sur lesquelles réfléchir. Le drone est définitivement une musique dans laquelle il faut s’impliquer et qui laisse l’auditeur compléter les silences par ce qu’il retire des multiples couches de mélodies entremêlées. La contrepartie de cela est que non, ce n’est pas un groupe qui plaira forcément à énormément de gens. Je ne dis pas ça d’une quelque manière supérieure « Ne pas l’écouter c’est ne pas avoir de goût », je dis simplement que Nadja ne trouvera pas son public chez tout le monde. Cela ravira les rares prêts à être envoutés par les décors musicaux de pistes sur lesquelles laisser l’esprit planer – les autres tout au plus souriront de ce qu’ils jugeront monotone.


Review

Your fingers stretch webs across my skin,Entwine, enclose and wrap me within sticky.Strands of silk, the cocoon of your flesh,My incubation metamorphosis beneath your hands ;Within your hands as you spin,Your skein shuttle my skin, shatter my spine.And intoxicated I burst out of the ends of your fingersLike a thousand blind larvaes

Les premiers albums datés d’avant Leah seront par la suite ré-enregistrés, rallongés et dépoussiérés et ce sont ces versions reprises que j’ai écouté et décrirai. Pour la simple et bonne raison qu’un groupe évolue au fil de son parcours, et que par souci de cohérence je préfère donc quitte à choisir me baser sur la version la plus récente plutôt que sur des ébauches. Ce n’est pas valable pour tous les groupes, mais dans le cas de Nadja ça l’est.

S’il y a une chose qui frappe sur ces premiers travaux, c’est l’incroyable noirceur dont ils font preuve comparé à certains des albums ultérieurs du groupe. Ce sont des œuvres d’obscurité presque primaire, troubles de brouillard musical, et dans lesquelles les voix si rares soient elles sont enterrées sous d’épaisses couches de sons à peine audibles par les murmures et syllabes sifflantes qu’elles échappent.

Parmi les albums que l’on retrouve au début de la discographie du groupe, Touched avec ses thèmes sensuels bien qu’horrifiques fait sans doute partie de mes préférés parce qu’il est le témoin d’un style tout juste né et qui ne demande qu’à s’épanouir. On y retrouve des éléments de tout ce qui suivra, par le riff puissant de MutagenStays Demons et ses relents shoegaze ou encore Flowers of Flesh et ses mélodies sous-jacentes que les torrents de sons viennent battre. Dans l’ensemble s’il n’y avait à garder qu’un album de cette première phase assez obscure, ce serait celui-là et il est de toute manière quasiment tout le temps dans le top des albums les plus écoutés de Nadja. Il fait aussi partie des albums ayant eu droit à un réenregistrement et je vous conseille donc la version la plus récente.

Les autres albums partagent une proximité très forte dans leur son au point de parfois sembler sortir du même moule. Une ambiance cruellement sèche et industrielle où guitares et basses semblent brûler voire fondre sous l’acide sonore qui plane dans les pistes. Celles-ci sont chacune captivantes à leur manière, mais en un sens n’osent pas assez de choses et semblent même s’arrêter au moment précis où l’on s’attendrait à ce qu’elles montent en puissance. C’est particulièrement flagrant sur Corrasion (la piste, mais c’est valable aussi pour l’album en général). Ce qu’il manque concrètement à ces albums c’est un sens de la démesure et de l’épique qui ne viendra qu’après sur des albums plus ambitieux. Et je ne parle pas de quelque chose qui se mesure en terme de longueur des pistes ou de découpe de celles-ci, mais d’un écrasant ressentiment général. Une émotion insufflée à même le son, et qui du bout de chaque vague de guitare foudroie votre colonne vertébrale par tremblements. Même Skin Turns To Glass qui est aussi un des meilleurs de cette période, manque dans ses pistes d’un quelque chose d’indescriptible qui sans que l’album soit autre que très bon, fait défaut pour qu’il devienne culte.

In the moment of ultra-lightWhen the fire burns black,And each and every second in the flameWe divide and sub-divide.Each time a cell splits off,We become a new flesh,A new shell and a new self,Into infinity.

Vous l’aurez remarqué et le remarquerez sans doute au fil de l’article, Nadja surprend toujours par ses pochettes, et les styles divergents qui s’y enchaînent retranscrivent parfaitement les ambiances indépendantes des différents albums. Comme pour Nine Inch Nails vu précédemment, elles sont la plupart du temps travaillées et sont un plaisir à montrer – chacune ayant sa personnalité tout en gardant la cohésion générale de l’état d’esprit du groupe. À leur manière, elles abordent cette volonté artistique propre à la musique de Nadja qui par le son dépeint paysages et scènes, entremêlant couches sonores à la manière de coups de pinceau sur une toile mentale.

On reproche et a souvent reproché au drone, post-rock et genre connexes de s’étaler en longueur sans forcément qu’en résultent des pistes plus riches, et je trouve que c’est complètement faux. Derrière des pistes qui se prolongent il y a une volonté – inconsciente ou non – d’absorber l’auditeur et de le forcer à s’impliquer pour saisir la totalité de ce qu’a à offrir le morceau. Et je ne parle pas de choses qui s’entendront directement mais d’idées et de ressentiments qui viendront se poser d’eux-mêmes par l’accumulation de sonorités ou d’ambiances. C’est une musique qui s’écoute tout autant qu’elle s’imagine, et c’est là une des forces d’artistes comme Nadja – ils apportent via leurs albums des canevas semi-vierges où entre deux esquisses de chimères, rayonne un emplacement tout particulier que l’auditeur peut venir compléter par ce qu’il aura compris et senti. C’est particulièrement vrai pour les quatre albums qui suivent, beaucoup plus avares en paroles que les précédents.

Les quatre albums qui suivirent abandonnèrent ainsi de manière plus ou moins radicale les dédales sombres des premiers pas de Nadja, pour se livrer à des albums plus gigantesques — dans leurs structures, leurs concepts et leurs thèmes. Ainsi quelques mois après Bodycage sortit la première pierre de cet édifice. À l’origine une seule piste d’une heure, par la suite découpée en trois mouvements dans sa version 2008, Bliss Torn From Emptiness est avant tout un album sur la création, sur l’origine des choses et leur jaillissement du néant. Par ses alternances de crescendos, tempêtes de drones et longues plages de calme distordu bercées de « God ? » laconiques, c’est indéniablement un album qui laisse songeur et que l’on apprécie plus ou moins selon ce qu’on en a retiré.

Cette même idée de piste-album se retrouve avec Thaumogenesis qui le long de ses 61 minutes tisse une des pièces les plus reposantes et mystiques de Nadja. Décrivant le soulèvement d’une force de la nature, l’album oscille de l’ambiant de la forêt aux lourdes vagues magnétiques ployant les terres. Il se distingue notamment par l’absence de réelle explosion drone dont Nadja a parfois fait preuve. De fait, je le considère personnellement comme une sorte de calme avant la tempête, rapport à l’album suivant. Car même si par son linceul blanc neige et son titre, Radiance of Shadows laisse deviner un album apaisant, c’est en réalité une des oeuvres les plus violemment submergeantes de Nadja.

Que ce soit dans ses noms de pistes ou les flammes de drones dont il est composé, tout dans cet album transpire le thermo-nucléaire et le post-apocalyptique. Empli de passages vraiment intenses, c’est un album qui frappe dès son ouverture et qui vous emporte de manière continue jusqu’à l’ouragan ardent lui servant de conclusion, chaque note d’overdrive soufflée évoquant la lointaine fournaise s’approchant au loin. C’est en tout point un de mes albums favoris de Nadja : le thème est puissant, sa retranscription sonore est puissante, les trois actes qui constituent l’album sont puissants ; tout dans Radiance of Shadows transpire l’épique comme tout autant de soupirs de napalm venant lécher la surface du monde.

I found the bone of an angel once,It was lying amongst the gravel.On the driveway and at first,I didn’t even notice it.

It was small, dirtyAnd blended in with the stones.I stepped on it with my bare feet,And I felt rather than I saw.

Au niveau des choses que l’on pourrait reprocher à Nadja, il y a inévitablement d’abord le chant. C’est un fait et ça serait mal que de le nier : Aidan ne sait pas réellement chanter. Tout en murmures et prose, on ne peut pas ne pas sentir la difficulté qu’il a à se mettre au devant de la scène. La maîtrise du groupe se trouve dans l’instrumental certes, mais parfois - et c’est d’autant plus flagrant dans les splits - un bon chant maîtrisé par-dessus aurait pu apporter d’autant plus d’ampleur à des pistes déjà bien abouties, sans qu’il y ait besoin de quelque chose de magistral. J’ai encore en tête le chant de Kim Gordonde Sonic Youth qui par-dessus les plages noise de pistes comme Tunic ou JC, savait sans forcer le ton apporter un chant un brin intimiste et désabusé. Et quand j’entends certaines pistes de Nadja aux sonorités similaires, cela me déçoit toujours un peu qu’Aidan ne se force pas plus. Je ne parle pas de la position du chant sous la musique qui elle est propre au genre, mais parfois son manque d’articulation ou sa façon de murmurer les mots fait qu’il n’est pas toujours aisé de saisir ce qu’il cherche à dire.

L’absence de réelle batterie est aussi une des choses qui fut parfois reprochées – Aidan utilise et a toujours utilisé des VST pour ses pistes de batterie, et même si sur les albums cela se laisse entendre sans déranger, c’est toujours regrettable une fois en live. Ce sont deux défauts avec lesquels semble-t-il ils ont essayé de jouer, et après Radiance of Shadow, Aidan et Leah partirent donc comme en quête de renouveau.

Dans ce parcours peu aisé il y eut d’abord Desire in Uneasiness qui se distingue par la présence d’une véritable batterie, mise au centre de la scène tout au long des pistes. Est-ce que l’album est pour autant une réussite, c’est plus complexe, ce qui est indéniable c’est que c’est un des albums les moins sombres du groupe et tout comme Thaumogenesis il se lance facilement au détour d’une fin de journée pour apprécier les partitions de batterie de morceaux comme Affective Fields. Des partitions qui sans être incroyablement plus fournies que ce qu’Aidan aurait pu faire avec sa guitare, sont appréciables et parfois impressionnantes, notamment sur la piste de fermeture — Deterritorialization — où la batterie presque tribale bat la mesure pendant que tout autour le noise dévore progressivement l’auditeur.

Belles Bêtes et When I See the Sun Always Shine on TVarrivent après ça telle un interlude à part dans la discographie du groupe. Déjà parce que ce sont des albums qui ne bénéficient pas d’un concept unificateur comme la plupart des autres, et deuxièmement car - et c’est la raison de cela - ces deux albums sont constitués de morceaux repris et digérés par le style Nadja. Le premier est un album d’anciens morceaux solo d’Aidan, et le second un album de covers de différents groupes ayant inspiré Aidan et Leah.

Cela a le mérite avant tout déjà de rendre ces deux albums très accessibles à qui découvre le groupe. Musicalement, il est impossible de ne pas sentir la différence, au niveau des gammes utilisées, par la présence autrement plus importante du chant et par des pistes donc beaucoup plus courtes et individuelles. Belles Bêtes frappe pour sa part par une ambiance réellement sombre et torturée, très proche de celle des débuts du groupe. Des pistes comme Chainsaw ne peuvent s’empêcher de m’évoquer personnellement d’autres artistes comme le morceau Walk on Water de Jesu. Beaucoup de pistes de When I See the Sun… sont excellentes aussi, et vraiment l’apparition de structures non-Nadjaesque avec par exemple des couplet-refrain-couplet-solo sont un vent de fraîcheur et surtout une preuve que le style du groupe ne tient pas qu’à ses concepts mais au son qu’il a su façonner.

Under the Jaguar Sun arrivé peu après est lui beaucoup plus expérimental que la plupart de ce qu’a fait Nadja. Déjà parce qu’il est constitué de deux albums pouvant s’écouter indépendamment tout comme pouvant s’écouter en même temps. Le premier est un album drone métal classique, le second beaucoup plus ambiant, mais le tout est clairement dérangeant et les mélodies des pistes les plus noires mettent carrément mal à l’aise — en partie dû au second album qui même discret nous gratifie d’un ambiant aux sonorités distordues.

Sans être très mémorable, c’est un album qui a le mérite de tenter quelque chose d’original dans son format et a quelques sous-parties intéressantes dans leur ambiance. Il est à écouter plus pour sa démarche créative que pour le contenu qu’il apporte, un peu à la manière des Ghosts de Trent Reznor. Clairement un de mes albums les moins favoris du groupe en tout cas.

The slaughing off of skinThat every seven yearsI become newI become someoneI become something elseAnd write words like these

I write your name on my skinI write my name on your skinI write your name in my bloodYou write your name in my head

I write your name to make youto keep youto hold youI write your name to become you

Même si The Bungled & The Botched est techniquement sorti bien avant Autopergamene, pour les besoins du paragraphe précédent je l’ai déplacé ici. C’est un album qui revient souvent dans les albums conseillés, pour beaucoup de raisons mais la principale est indéniablement le riff culte et mémorable qui compose la piste principale. Je sais que j’ai l’impression de dire cela à chaque fois, mais c’est un de mes albums préférés — même si peut-être pas directement accessible de par la longueur de ses pistes (l’album est une piste scindée en deux parties de 30mn). Il s’entame par une longue montée acoustique où cet extrait de The Fisher King tourne et se tort, jusqu’à figurativement exploser vers le riff principal. C’est un album qui est bercé sur toute sa longueur par une longue partition de flute (Aidan est un ancien flutiste classique) et c’est clairement un ajout magnifique qui magnifie d’autant plus l’ampleur épique du morceau. La seconde partie, toujours guidée par la flute, s’entame par une vaste plage noise qui débouche par la suite en un piano avant que guitares, basses et batterie n’arrivent en coeur conclure le tout.

C’est un album très intense, et un de ceux que j’aimerais vraiment posséder s’il n’était pas aussi difficile de s’en procurer une copie à prix normal.

Autopergamene, dernière pièce en date de Nadja, pourrait d’une certaine manière s’y rapprocher par l’ajout là aussi de nouveaux instruments qui se marient parfaitement aux pistes et que pourtant on aurait imaginé entendre sur les premiers albums du groupe. En vrac du violon, de l’orgue, du piano, le tout en plus de la flute. Leur utilisation reste au second-plan certes, mais restent des ajouts qui viennent enrichir considérablement le son tout en le rendant unique dans la discographie du groupe.

À vrai dire peu d’albums avant celui-ci avaient eu autant de soin porté sur l’imagerie entourant les pistes. Autopergamene (grossièrement « L’auto-parchemin » ou l’acte d’écrire sur soi-même) se démarque par un univers ancré dans un style très Clive Barker et son Book of Blood. Cependant comme toujours chez Aidan, les images violentes et malsaines ne sont que prétextes à des thèmes plus personnels ou sensuels et si l’on devait retranscrire Autopergamene ce serait clairement l’histoire d’une relation amoureuse intense. Intense et tumultueuse, au point que les hurlements de You Write Your Name In My Head ne résonnent plus que comme ceux de souvenirs impossibles à effacer. C’est clairement un des albums les plus beaux de Nadja, et une des preuves qu’ils savent avec brio ne pas perdre de leur maîtrise au fil des années.

Le packaging est aussi superbe, pour avoir personnellement l’édition limitée à base d’aquarelles, je ne peux m’empêcher d’en mettre des images tellement elle impressionne de soin :

Your tears will pierce their depthsMy veins will carve valleysYour cold will burn their shellsAnd someday I’ll return home

You know I’ll be waitingYou know I’ll embrace themYou will hollow their black heartsI will hollow their scorched earth

Enfin les splits — sujets de tant de controverse chez les fans du groupe. Pour aller droit au but : la plupart ne valent pas le coup, ne sont que des mélanges étranges et peu fructueux dans lesquels Nadja s’oublie et nous gratifie de pistes non seulement oubliables mais semblant plus être présentes comme des « I was here » que comme de véritables contributions. Dans ce fatras d’albums communs, une poignée seulement se dégagent et apportent une ambiance qui donne envie de retourner. Là encore, c’est vraiment un sujet sensible et les albums que je vais citer sont des albums qui sont de manière plus ou moins globale appréciés par les fans de Nadja, sans qu’il ne soit impossible d’en trouver de fervents détracteurs.

Parmi ces splits, on trouve entre autres Pyramids With Nadjaet son chant troublant un peu angélique. Primitive North où brillent la contribution très progressive metal de A Storm of Light mêlé à Nadja qui avec I Make From Your Eyes The Sunnous livre une de leurs meilleures pistes. Les albums avec Black Boned Angel qui du fond d’un style résolument et férocement drone sont de véritables cyclones de musique. Magma to Ice où tant Netherworlds que Nadja rayonnent dans un des albums les plus glacials de l’histoire de la musique.

Il y en a d’autres mais n’ayant écouté que ceux-ci je ne m’avancerai pas à me prononcer. Primitive North reste définitivement un de mes préférés et un des plus accessibles, sa particularité et son intérêt venant du fait que loin d’être un simple échange de cassette, chaque groupe a repris une piste de l’autre, ce qui donne lieu à deux pistes fascinantes où Nadja réinterprète Storm of Light et vice versa.

© 2025 - Emma Fabre - About

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You ever read any Nietzsche? Nietzsche says there are two kinds of people in the world : people who are destined for greatness, like Walt Disney and Hitler. And then there’s the rest of us. He called us “the bungled and the botched” — we get teased, we sometimes get close to greatness… but we never get there. We’re the expendable masses. We get pushed in front of trains, take poison aspirin, get gunned down in Dairy Queens. […]

You’re a good kid, you say no to drugs… But you ever get the feeling sometimes, you’re being punished for your sins?

C’est amusant comme les groupes qui s’ancrent assez pour finir en article, ne font au final que rarement partie du lot des « groupes que X ou Y m’ont vivement recommandés ». Plus couramment ce sont même au contraire ceux sur lesquels je tombe par hasard et qui m’accrochent au détour d’un passage furtif ; ces noms lâchés dans le recoin d’une phrase qui simplement m’intriguent tant par leur pochette ou concept que je me dois de leur prêter attention. Nadja est un groupe entre tout cela : on me l’avait certes conseillé à quelques reprises il y a longtemps de cela mais depuis le nom s’était évanoui dans le flou de nouvelles découvertes musicales. Puis en période de pleine sécheresse – les oreilles brûlantes d’un désir d’écouter quelque chose de nouveau – je me suis aventuré sur Spotify et ai lancé au hasard un album de ce Nadja qui tapi dans sa zone d’ombre dans un angle mort de ma mémoire, me hantait passivement.

Parce que je me dois de décrire cela d’une quelque manière : Nadja est un groupe aux inspirations diverses dont la classification tombe dans le drone. Sans d’aucune façon vouloir me prétendre connaisseur du genre dans son ensemble, de ce que j’en sais et comprends, le drone est une musique souvent instrumentale qui se caractérise par la création et le maniement de couches et murs de sons semblables à ceux du post-rock, du shoegaze ou encore du noise. Il tient son nom de ces notes longues, répétées ou prolongées dont il est originellement conçu, communément appelées « drones » — la note drone en soi n’étant pas propre au genre puisqu’étant vastement utilisée à travers le monde et les cultures (le Didgeridoo par exemple est une musique usant de drones). Dans le cas de Nadja et de sans doute de nombre d’autres groupes du genre, les drones sont des notes qui en quelque sorte vivent indépendamment de la mélodie et des partitions puisqu’ici désignant les différentes couches de sons. Elles naissent, prennent de l’ampleur, absorbent l’auditeur et enveloppe la musique, mais ne sont ni réellement contrôlables ni complètement indomptables. Ce sont des plaines de son ; de pleines plages qui ni composées ou écrites, font partie intégrante de la musique. La plupart des travaux du groupe se veulent ainsi relativement peu rapides en rythme, ce en partie dû à ce son laminant qui de sa présence monolithique résonne et requiert des temps de battement après chaque impact de guitare. Les pistes qu’on rattache au drone sont très souvent conséquentes en longueur, parfois extrêmement complexes ou parfois juste ambiantes. Empruntes de variations d’atmosphères, thèmes et styles qui peuvent changer d’un album à un artiste à un autre. L’un des sous-genres les plus proéminents du drone étant le drone metal (ou drone doom), genre auquel Nadja entre autres choses se rattache.

1dad4708 e044 802f 8634 ef32a2e785fd Nadja derrière son nom lancinant est un duo canadien composé d’Aidan Baker et de Leah Buckareff. Dans la manière dont il a été originellement conçu, il ne devait être qu’un projet solo d’Aidan censé lui permettre d’explorer de nouvelles facettes de sa musique alors ancrée dans l’acoustique, l’expérimental et l’ambiant. C’était un moyen d’intensifier son style, de lui donner une dimension plus sombre voire plus féroce, teintée de références aux artistes l’ayant bercé. Bref, Nadja était un projet de studio qui n’était implicitement destiné qu’à étendre le champ musical de son seul membre, le nom étant même à l’origine une simple inversion d’Aidan (Nadia), orthographié Nadja « in order to reference the Nadja character from Breton’s book and Elena Lowenstein’s character from the vampire movie ».

Les premiers albums sortis de la gorge ardente du groupe sont en marge dans son historique puisque datés d’avant l’arrivée de Leah. Il est difficile de faire la part de ce qu’elle a apporté à Nadja — outre sa basse. Toujours est-il qu’il est impossible de ne pas remarquer à quel point les albums datant d’avant son arrivée sont sombres, et que plus le temps a passé après cela et plus les thèmes se sont fait neutres et complexes, jusqu’à aujourd’hui avec Autopergamene que personnellement je considère comme l’histoire d’une relation, bien que tragique, certes. À vrai dire en parlant de relation, même celle d’Aidan et Leah n’est pas réellement claire. Certains disent qu’ils sont fiancés, d’autres non certes, mais s’ils l’étaient ce serait bien la preuve que l’arrivée de cette petite bassiste canadienne relieuse de livres fut l’un des points clés de l’histoire du groupe.

Après trois mois la tête enfoncée dans les différents tableaux que chaque album dans toute son individualité, décrit, mon avis sur Nadja est on ne peut plus positif. C’est assurément non seulement une de mes meilleures découvertes de cette année, mais aussi désormais un de mes groupes les plus écoutés toutes périodes confondues. De par son style imposant et ses pistes qui absorbent et se jouent de l’imagination de l’auditeur, Nadja a su dès les premières écoutes se révéler magistral à mes yeux. Tout n’est pas à garder, ce serait faux que de prétendre le contraire, mais les albums qui m’ont happés l’ont fait avec tant de brio que l’enthousiasme dont j’ai fait preuve à les redécouvrir m’a moi-même surpris. Je disais dans un article précédent, « j’écoute ma musique presque autant pour son concept que pour ce qu’elle m’apporte » et Nadja est définitivement un groupe qui dans tout l’expérimental de sa classification a su m’abreuver de paysages à imager, d’histoires à composer et sur lesquelles réfléchir. Le drone est définitivement une musique dans laquelle il faut s’impliquer et qui laisse l’auditeur compléter les silences par ce qu’il retire des multiples couches de mélodies entremêlées. La contrepartie de cela est que non, ce n’est pas un groupe qui plaira forcément à énormément de gens. Je ne dis pas ça d’une quelque manière supérieure « Ne pas l’écouter c’est ne pas avoir de goût », je dis simplement que Nadja ne trouvera pas son public chez tout le monde. Cela ravira les rares prêts à être envoutés par les décors musicaux de pistes sur lesquelles laisser l’esprit planer – les autres tout au plus souriront de ce qu’ils jugeront monotone.


Review

Your fingers stretch webs across my skin,Entwine, enclose and wrap me within sticky.Strands of silk, the cocoon of your flesh,My incubation metamorphosis beneath your hands ;Within your hands as you spin,Your skein shuttle my skin, shatter my spine.And intoxicated I burst out of the ends of your fingersLike a thousand blind larvaes

Les premiers albums datés d’avant Leah seront par la suite ré-enregistrés, rallongés et dépoussiérés et ce sont ces versions reprises que j’ai écouté et décrirai. Pour la simple et bonne raison qu’un groupe évolue au fil de son parcours, et que par souci de cohérence je préfère donc quitte à choisir me baser sur la version la plus récente plutôt que sur des ébauches. Ce n’est pas valable pour tous les groupes, mais dans le cas de Nadja ça l’est.

S’il y a une chose qui frappe sur ces premiers travaux, c’est l’incroyable noirceur dont ils font preuve comparé à certains des albums ultérieurs du groupe. Ce sont des œuvres d’obscurité presque primaire, troubles de brouillard musical, et dans lesquelles les voix si rares soient elles sont enterrées sous d’épaisses couches de sons à peine audibles par les murmures et syllabes sifflantes qu’elles échappent.

Parmi les albums que l’on retrouve au début de la discographie du groupe, Touched avec ses thèmes sensuels bien qu’horrifiques fait sans doute partie de mes préférés parce qu’il est le témoin d’un style tout juste né et qui ne demande qu’à s’épanouir. On y retrouve des éléments de tout ce qui suivra, par le riff puissant de MutagenStays Demons et ses relents shoegaze ou encore Flowers of Flesh et ses mélodies sous-jacentes que les torrents de sons viennent battre. Dans l’ensemble s’il n’y avait à garder qu’un album de cette première phase assez obscure, ce serait celui-là et il est de toute manière quasiment tout le temps dans le top des albums les plus écoutés de Nadja. Il fait aussi partie des albums ayant eu droit à un réenregistrement et je vous conseille donc la version la plus récente.

Les autres albums partagent une proximité très forte dans leur son au point de parfois sembler sortir du même moule. Une ambiance cruellement sèche et industrielle où guitares et basses semblent brûler voire fondre sous l’acide sonore qui plane dans les pistes. Celles-ci sont chacune captivantes à leur manière, mais en un sens n’osent pas assez de choses et semblent même s’arrêter au moment précis où l’on s’attendrait à ce qu’elles montent en puissance. C’est particulièrement flagrant sur Corrasion (la piste, mais c’est valable aussi pour l’album en général). Ce qu’il manque concrètement à ces albums c’est un sens de la démesure et de l’épique qui ne viendra qu’après sur des albums plus ambitieux. Et je ne parle pas de quelque chose qui se mesure en terme de longueur des pistes ou de découpe de celles-ci, mais d’un écrasant ressentiment général. Une émotion insufflée à même le son, et qui du bout de chaque vague de guitare foudroie votre colonne vertébrale par tremblements. Même Skin Turns To Glass qui est aussi un des meilleurs de cette période, manque dans ses pistes d’un quelque chose d’indescriptible qui sans que l’album soit autre que très bon, fait défaut pour qu’il devienne culte.

In the moment of ultra-lightWhen the fire burns black,And each and every second in the flameWe divide and sub-divide.Each time a cell splits off,We become a new flesh,A new shell and a new self,Into infinity.

Vous l’aurez remarqué et le remarquerez sans doute au fil de l’article, Nadja surprend toujours par ses pochettes, et les styles divergents qui s’y enchaînent retranscrivent parfaitement les ambiances indépendantes des différents albums. Comme pour Nine Inch Nails vu précédemment, elles sont la plupart du temps travaillées et sont un plaisir à montrer – chacune ayant sa personnalité tout en gardant la cohésion générale de l’état d’esprit du groupe. À leur manière, elles abordent cette volonté artistique propre à la musique de Nadja qui par le son dépeint paysages et scènes, entremêlant couches sonores à la manière de coups de pinceau sur une toile mentale.

On reproche et a souvent reproché au drone, post-rock et genre connexes de s’étaler en longueur sans forcément qu’en résultent des pistes plus riches, et je trouve que c’est complètement faux. Derrière des pistes qui se prolongent il y a une volonté – inconsciente ou non – d’absorber l’auditeur et de le forcer à s’impliquer pour saisir la totalité de ce qu’a à offrir le morceau. Et je ne parle pas de choses qui s’entendront directement mais d’idées et de ressentiments qui viendront se poser d’eux-mêmes par l’accumulation de sonorités ou d’ambiances. C’est une musique qui s’écoute tout autant qu’elle s’imagine, et c’est là une des forces d’artistes comme Nadja – ils apportent via leurs albums des canevas semi-vierges où entre deux esquisses de chimères, rayonne un emplacement tout particulier que l’auditeur peut venir compléter par ce qu’il aura compris et senti. C’est particulièrement vrai pour les quatre albums qui suivent, beaucoup plus avares en paroles que les précédents.

Les quatre albums qui suivirent abandonnèrent ainsi de manière plus ou moins radicale les dédales sombres des premiers pas de Nadja, pour se livrer à des albums plus gigantesques — dans leurs structures, leurs concepts et leurs thèmes. Ainsi quelques mois après Bodycage sortit la première pierre de cet édifice. À l’origine une seule piste d’une heure, par la suite découpée en trois mouvements dans sa version 2008, Bliss Torn From Emptiness est avant tout un album sur la création, sur l’origine des choses et leur jaillissement du néant. Par ses alternances de crescendos, tempêtes de drones et longues plages de calme distordu bercées de « God ? » laconiques, c’est indéniablement un album qui laisse songeur et que l’on apprécie plus ou moins selon ce qu’on en a retiré.

Cette même idée de piste-album se retrouve avec Thaumogenesis qui le long de ses 61 minutes tisse une des pièces les plus reposantes et mystiques de Nadja. Décrivant le soulèvement d’une force de la nature, l’album oscille de l’ambiant de la forêt aux lourdes vagues magnétiques ployant les terres. Il se distingue notamment par l’absence de réelle explosion drone dont Nadja a parfois fait preuve. De fait, je le considère personnellement comme une sorte de calme avant la tempête, rapport à l’album suivant. Car même si par son linceul blanc neige et son titre, Radiance of Shadows laisse deviner un album apaisant, c’est en réalité une des oeuvres les plus violemment submergeantes de Nadja.

Que ce soit dans ses noms de pistes ou les flammes de drones dont il est composé, tout dans cet album transpire le thermo-nucléaire et le post-apocalyptique. Empli de passages vraiment intenses, c’est un album qui frappe dès son ouverture et qui vous emporte de manière continue jusqu’à l’ouragan ardent lui servant de conclusion, chaque note d’overdrive soufflée évoquant la lointaine fournaise s’approchant au loin. C’est en tout point un de mes albums favoris de Nadja : le thème est puissant, sa retranscription sonore est puissante, les trois actes qui constituent l’album sont puissants ; tout dans Radiance of Shadows transpire l’épique comme tout autant de soupirs de napalm venant lécher la surface du monde.

I found the bone of an angel once,It was lying amongst the gravel.On the driveway and at first,I didn’t even notice it.

It was small, dirtyAnd blended in with the stones.I stepped on it with my bare feet,And I felt rather than I saw.

Au niveau des choses que l’on pourrait reprocher à Nadja, il y a inévitablement d’abord le chant. C’est un fait et ça serait mal que de le nier : Aidan ne sait pas réellement chanter. Tout en murmures et prose, on ne peut pas ne pas sentir la difficulté qu’il a à se mettre au devant de la scène. La maîtrise du groupe se trouve dans l’instrumental certes, mais parfois - et c’est d’autant plus flagrant dans les splits - un bon chant maîtrisé par-dessus aurait pu apporter d’autant plus d’ampleur à des pistes déjà bien abouties, sans qu’il y ait besoin de quelque chose de magistral. J’ai encore en tête le chant de Kim Gordonde Sonic Youth qui par-dessus les plages noise de pistes comme Tunic ou JC, savait sans forcer le ton apporter un chant un brin intimiste et désabusé. Et quand j’entends certaines pistes de Nadja aux sonorités similaires, cela me déçoit toujours un peu qu’Aidan ne se force pas plus. Je ne parle pas de la position du chant sous la musique qui elle est propre au genre, mais parfois son manque d’articulation ou sa façon de murmurer les mots fait qu’il n’est pas toujours aisé de saisir ce qu’il cherche à dire.

L’absence de réelle batterie est aussi une des choses qui fut parfois reprochées – Aidan utilise et a toujours utilisé des VST pour ses pistes de batterie, et même si sur les albums cela se laisse entendre sans déranger, c’est toujours regrettable une fois en live. Ce sont deux défauts avec lesquels semble-t-il ils ont essayé de jouer, et après Radiance of Shadow, Aidan et Leah partirent donc comme en quête de renouveau.

Dans ce parcours peu aisé il y eut d’abord Desire in Uneasiness qui se distingue par la présence d’une véritable batterie, mise au centre de la scène tout au long des pistes. Est-ce que l’album est pour autant une réussite, c’est plus complexe, ce qui est indéniable c’est que c’est un des albums les moins sombres du groupe et tout comme Thaumogenesis il se lance facilement au détour d’une fin de journée pour apprécier les partitions de batterie de morceaux comme Affective Fields. Des partitions qui sans être incroyablement plus fournies que ce qu’Aidan aurait pu faire avec sa guitare, sont appréciables et parfois impressionnantes, notamment sur la piste de fermeture — Deterritorialization — où la batterie presque tribale bat la mesure pendant que tout autour le noise dévore progressivement l’auditeur.

Belles Bêtes et When I See the Sun Always Shine on TVarrivent après ça telle un interlude à part dans la discographie du groupe. Déjà parce que ce sont des albums qui ne bénéficient pas d’un concept unificateur comme la plupart des autres, et deuxièmement car - et c’est la raison de cela - ces deux albums sont constitués de morceaux repris et digérés par le style Nadja. Le premier est un album d’anciens morceaux solo d’Aidan, et le second un album de covers de différents groupes ayant inspiré Aidan et Leah.

Cela a le mérite avant tout déjà de rendre ces deux albums très accessibles à qui découvre le groupe. Musicalement, il est impossible de ne pas sentir la différence, au niveau des gammes utilisées, par la présence autrement plus importante du chant et par des pistes donc beaucoup plus courtes et individuelles. Belles Bêtes frappe pour sa part par une ambiance réellement sombre et torturée, très proche de celle des débuts du groupe. Des pistes comme Chainsaw ne peuvent s’empêcher de m’évoquer personnellement d’autres artistes comme le morceau Walk on Water de Jesu. Beaucoup de pistes de When I See the Sun… sont excellentes aussi, et vraiment l’apparition de structures non-Nadjaesque avec par exemple des couplet-refrain-couplet-solo sont un vent de fraîcheur et surtout une preuve que le style du groupe ne tient pas qu’à ses concepts mais au son qu’il a su façonner.

Under the Jaguar Sun arrivé peu après est lui beaucoup plus expérimental que la plupart de ce qu’a fait Nadja. Déjà parce qu’il est constitué de deux albums pouvant s’écouter indépendamment tout comme pouvant s’écouter en même temps. Le premier est un album drone métal classique, le second beaucoup plus ambiant, mais le tout est clairement dérangeant et les mélodies des pistes les plus noires mettent carrément mal à l’aise — en partie dû au second album qui même discret nous gratifie d’un ambiant aux sonorités distordues.

Sans être très mémorable, c’est un album qui a le mérite de tenter quelque chose d’original dans son format et a quelques sous-parties intéressantes dans leur ambiance. Il est à écouter plus pour sa démarche créative que pour le contenu qu’il apporte, un peu à la manière des Ghosts de Trent Reznor. Clairement un de mes albums les moins favoris du groupe en tout cas.

The slaughing off of skinThat every seven yearsI become newI become someoneI become something elseAnd write words like these

I write your name on my skinI write my name on your skinI write your name in my bloodYou write your name in my head

I write your name to make youto keep youto hold youI write your name to become you

Même si The Bungled & The Botched est techniquement sorti bien avant Autopergamene, pour les besoins du paragraphe précédent je l’ai déplacé ici. C’est un album qui revient souvent dans les albums conseillés, pour beaucoup de raisons mais la principale est indéniablement le riff culte et mémorable qui compose la piste principale. Je sais que j’ai l’impression de dire cela à chaque fois, mais c’est un de mes albums préférés — même si peut-être pas directement accessible de par la longueur de ses pistes (l’album est une piste scindée en deux parties de 30mn). Il s’entame par une longue montée acoustique où cet extrait de The Fisher King tourne et se tort, jusqu’à figurativement exploser vers le riff principal. C’est un album qui est bercé sur toute sa longueur par une longue partition de flute (Aidan est un ancien flutiste classique) et c’est clairement un ajout magnifique qui magnifie d’autant plus l’ampleur épique du morceau. La seconde partie, toujours guidée par la flute, s’entame par une vaste plage noise qui débouche par la suite en un piano avant que guitares, basses et batterie n’arrivent en coeur conclure le tout.

C’est un album très intense, et un de ceux que j’aimerais vraiment posséder s’il n’était pas aussi difficile de s’en procurer une copie à prix normal.

Autopergamene, dernière pièce en date de Nadja, pourrait d’une certaine manière s’y rapprocher par l’ajout là aussi de nouveaux instruments qui se marient parfaitement aux pistes et que pourtant on aurait imaginé entendre sur les premiers albums du groupe. En vrac du violon, de l’orgue, du piano, le tout en plus de la flute. Leur utilisation reste au second-plan certes, mais restent des ajouts qui viennent enrichir considérablement le son tout en le rendant unique dans la discographie du groupe.

À vrai dire peu d’albums avant celui-ci avaient eu autant de soin porté sur l’imagerie entourant les pistes. Autopergamene (grossièrement « L’auto-parchemin » ou l’acte d’écrire sur soi-même) se démarque par un univers ancré dans un style très Clive Barker et son Book of Blood. Cependant comme toujours chez Aidan, les images violentes et malsaines ne sont que prétextes à des thèmes plus personnels ou sensuels et si l’on devait retranscrire Autopergamene ce serait clairement l’histoire d’une relation amoureuse intense. Intense et tumultueuse, au point que les hurlements de You Write Your Name In My Head ne résonnent plus que comme ceux de souvenirs impossibles à effacer. C’est clairement un des albums les plus beaux de Nadja, et une des preuves qu’ils savent avec brio ne pas perdre de leur maîtrise au fil des années.

Le packaging est aussi superbe, pour avoir personnellement l’édition limitée à base d’aquarelles, je ne peux m’empêcher d’en mettre des images tellement elle impressionne de soin :

Your tears will pierce their depthsMy veins will carve valleysYour cold will burn their shellsAnd someday I’ll return home

You know I’ll be waitingYou know I’ll embrace themYou will hollow their black heartsI will hollow their scorched earth

Enfin les splits — sujets de tant de controverse chez les fans du groupe. Pour aller droit au but : la plupart ne valent pas le coup, ne sont que des mélanges étranges et peu fructueux dans lesquels Nadja s’oublie et nous gratifie de pistes non seulement oubliables mais semblant plus être présentes comme des « I was here » que comme de véritables contributions. Dans ce fatras d’albums communs, une poignée seulement se dégagent et apportent une ambiance qui donne envie de retourner. Là encore, c’est vraiment un sujet sensible et les albums que je vais citer sont des albums qui sont de manière plus ou moins globale appréciés par les fans de Nadja, sans qu’il ne soit impossible d’en trouver de fervents détracteurs.

Parmi ces splits, on trouve entre autres Pyramids With Nadjaet son chant troublant un peu angélique. Primitive North où brillent la contribution très progressive metal de A Storm of Light mêlé à Nadja qui avec I Make From Your Eyes The Sunnous livre une de leurs meilleures pistes. Les albums avec Black Boned Angel qui du fond d’un style résolument et férocement drone sont de véritables cyclones de musique. Magma to Ice où tant Netherworlds que Nadja rayonnent dans un des albums les plus glacials de l’histoire de la musique.

Il y en a d’autres mais n’ayant écouté que ceux-ci je ne m’avancerai pas à me prononcer. Primitive North reste définitivement un de mes préférés et un des plus accessibles, sa particularité et son intérêt venant du fait que loin d’être un simple échange de cassette, chaque groupe a repris une piste de l’autre, ce qui donne lieu à deux pistes fascinantes où Nadja réinterprète Storm of Light et vice versa.

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