Autopergamene
Psykick Lyrikah: Le Chant d’une Nuit
article🇫🇷 françaisPublished 2008-05-15MusicReview10mn to read

C’est un bloc de pierres paisibles où quelques mille récifs s’entrechoquent et se résignent. C’est un bloc de haine abrasive où certains sèment le rêve pendant que d’autres hésitent.
Je poste peu sur ce blog, pour la simple et bonne raison que je n’ai jamais l’impression d’avoir réellement quelque chose à y dire. Il arrive aussi trop souvent qu’un sujet me saisisse, sans que l’article parvienne à aboutir. Oui, longtemps j’ai repoussé mon labeur au lendemain, mais cette fois-ci je ne pouvais pas passer à côté surtout après tant de temps passé sans venir vous parler de musique. Pourtant la musique est omniprésente dans ma vie, j’en avale de pleines poignées chaque jour ; j’ai une discothèque impressionnante où les artistes se lient et se démarquent les uns des autres avec une complexité déconcertante. Une centaine de groupe, dont certains que j’adule particulièrement, d’autres moins. Je m’efforce tant bien que mal de passer le balai régulièrement, en supprimant les choses que je me devais d’écouter mais sur lesquelles je n’ai jamais posé l’oreille, ou encore ces groupes que j’ai écoutés une ou deux fois en les trouvant excellents, mais qui sont fades et désuets avec un peu de recul. Le plus triste est sans doute que je possède plus de musique que je n’ai de temps pour l’écouter, c’est la raison pour laquelle au final, ce sont souvent les éternels mêmes « gros » groupes qui vont et viennent dans mes enceintes. L’élite de ma musique, ceux dont ô grand jamais je n’oserais me lasser. Mais tous ne se prêtent pas forcément à un article, simplement parce que malgré leur talent, peu de choses sont à dire au final. Je ne parle pas des simples détails historiques, la genèse du groupe ou que sais-je — pour cela il y a Internet et je n’ai pas pour but de venir ici vous vomir un copié-collé de ce qu’on pourrait lire partout ailleurs. C’est la raison pour laquelle j’ai attendu, jusqu’au jour où je me suis enfin décidé : ce serait sur Psykick Lyrikah que porterait mon prochain article. Je ne prétends pas connaître les moindres recoins de leur histoire, mais j’en sais assez pour en parler convenablement — parfois en semant quelques erreurs, en quel cas corrigez-moi.
Pour comprendre ce qui m’a motivé, revenons quelques jours auparavant. Le sept mai, après un retard de dernière minute, sortait le dernier album des Psykick Lyrikah posément intitulé « Vu d’ici ». Une pochette dépeignant un champ de blé surplombé d’un sombre ciel noir ; une simplicité irréelle, un titre criant de sobriété, et pourtant il y avait un quelque chose qui me faisait m’impatienter et suscitait en moi un frisson d’exaltation comme je n’en avais connu depuis bien longtemps. Comprenez, que rares sont les fois où j’attends un album, et de tous les groupes que j’aime, rares sont ceux qui officient encore à l’heure actuelle sans avoir perdu de leur talent. Du coup ça m’a fait bizarre de sortir à nouveau pour vraiment aller acheter un CD, et honnêtement, je ne ferais pas ça tous les jours. Pourquoi ? Parce presque partout où j’ai été, on m’a répondu qu’on ne connaissait pas ce groupe, ou que c’était quelque part en stock en attendant d’être déballé. L’album était bel et bien annoncé le sept mai mais apparemment les choses un brin à part n’ont pas la priorité. Qu’à cela ne tienne, « Vu d’ici » valait mon attente et s’inscrit dans la digne lignée de ce qu’est devenu le groupe à force de changements et de mutations.
Psykick Lyrikah, à mes yeux c’est un peu l’histoire du vilain petit canard qui se mua brusquement en majestueux papillon de nuit. À regarder la grossière pochette de leur premier album, « Lyrikal Teknik », à survoler le nom du groupe, on aurait bien vite fait d’en imaginer un groupe de rap frôlant les bas plafonds, aux textes maladroits et aux productions grasses ne méritant nulle attention. Ce qui sans être faux, soulignait une part de vérité : cet album était constitué comme le serait celui d’un collectif, dont certains des membres continuent aujourd’hui encore à hanter le rap avec plus ou moins de talent (VII, par exemple). Bref, toute une pléiade d’invités divers venant s’articuler autour d’un même pilier : Arm au micro, et Teddybear aux machines. L’étrange ensemble formé aurait mérité une certaine écoute pour les amateurs du genre, mais là n’est pas la question. Ce qui est intéressant, c’est ce qu’il adviendra de cette base malhabile. Ce cadre « collectif » fut à mes yeux ce qui a conditionné un premier album si différent des suivants. Car entre la masse de mots qui émanait de l’album, se distinguait bien un certain potentiel, une certaine ambiance ne demandant qu’à éclore et s’épanouir. Cette atmosphère c’était celle d’une ville de nuit drapée d’un voile de pluie, celle d’un univers aux retors indénombrables où se côtoient suicides et espoirs. Une atmosphère jusque-là suffoquée par ce qu’était alors Psykick Lyrikah, et avouons-le, par la qualité irrégulière des pistes.
Dire que des anges quelque part parlent de nous ; s’arment, frémissent et baissent la tête comme gardes-fou. Patience, l’arche et faible est sous l’absence qu’elle absorbe, elle cédera. Alors patience, contemplez nos silhouettes floues — Aveuglées, violentes, parce que Faibles aux principes de Fou. Soulevez vos croix, portez vos rois : soyez fiers d’eux, patience, leur chute viendra…
Je ne sais trop quels évènements ont induit le changement radical qui suivit. Toujours est-il que lorsque le groupe refit surface l’année suivante, il n’était plus le même, méconnaissable jusque dans ses moindres détails. Abandonné de ses airs de collectif, ne restait plus que la voix chancelante de Arm, portée par les compositions de Teddybear. Un duo fascinant auquel vint se joindre temporairement le guitariste Olivier Mellano (qui deviendra finalement un membre permanent du groupe et participera à sa transformation). Le tout pour un tournant des plus acérés : là où Lyrikal Teknik ne se posait que comme un album somme tout classique, le suivant pour sa part se démarqua complètement de tout ce qui se fait et s’était toujours fait en matière de rap. Des pistes parfois uniquement instrumentales, des guitares distordues se joignant aux mots, des phrases dépeintes d’images et de métaphores. Le cocon s’était entrouvert et de l’embrasure de sa carapace, venait de naître la première pierre d’un groupe comme on en fait plus. Une pierre, un album, « Des Lumières sous la Pluie ». Onze titres qui s’écoutent sans interruption, comme une seule et même histoire contée par un narrateur détaché de ce qu’il contemple. Tout s’entame par cet homme qui saute d’un pont tard le soir, et la suite n’est qu’un long travelling à travers les méandres d’une ville labyrinthique où s’entremêlent peines et joies. Des multitudes de scènes qui nous sont rapportées, et qui forment une lente évolution au fil des pistes : peu à peu, la lumière perce le mur de pluie et ce qui au départ nous était présenté telle une vision pessimiste, devient graduellement un message clair et optimiste. Sur la dernière piste, la caméra se replace sur l’homme sautant du pont, mais le point de vue est complètement différent. L’auditeur vient de vivre une véritable descente au cœur d’une ville infernale, et sa remontée soudaine fait l’effet d’une gorgée d’air après une longue apnée. Comme avoir côtoyé les abysses les plus obscurs, et être aveuglé par le soleil en revenant à la surface.
Porté par un cœur en pièces, sous l’âme en peine se dresse le deuil du cœur et du père. Mille bruits certes sanglants, à enfouir sous mille quêtes de soi… quelques mille crimes. Logique vide, les cieux se fâchent. Aiguisent leurs mines fines, que la frénésie relâche.
Après cet album, il y eut une longue pause et le groupe sembla temporairement inactif. Il se déplaça de scène en scène, majoritairement occupé par la participation de Arm à la pièce de théâtre musicale « Hamlet, thèmes et variations » dans laquelle il laissa définitivement son empreinte avec « Mille bruits » et autres scènes, dans un trouble rôle de narrateur/acteur. Dans l’ensemble, on retrouva sa participation çà et là, mais concrètement il fallut attendre 2007 pour voir Psykick Lyrikah à nouveau gravé sur la pochette d’un album. Lors de cette seconde rencontre, et sans surprise, l’expérience fut de nouveau complètement différente. Le temps d’un court album, machines et électronique furent mis de côté, délaissés pour un nouveau duo qui frappa là où personne ne l’attendait. Troisième album du groupe, « Acte » place au devant de la scène cet éternel conteur qu’est Arm, simplement accompagné par la guitare d’Olivier Mellano le temps de neuf titres. Parfois simple guitare acoustique, parfois violents riffs saturés, les ambiances sonores s’imposent de nouveau comme un élément majeur au sein du groupe, indissociable des textes composés par le rappeur. Des textes d’ailleurs où l’on retrouve une grande influence du film L’Aurore qui fut très vite avoué comme l’une des sources d’inspiration. Il est difficile de décrire ce que procure l’écoute de Acte. Pour beaucoup de personnes ce fut l’album qui leur fit dire « Ce n’est plus le groupe que j’ai aimé », et c’est plus que compréhensible. La mutation du groupe en était devenue tellement précipitée que pour certains c’était tout simplement trop difficile à suivre. Trop difficile d’accrocher une image précise au nom « Psykick Lyrikah » ; trop difficile de leur rattacher un genre ou un surnom. C’est souvent à cela que l’on reconnait les groupes uniques. Avec du recul et la venue de « Vu d’ici », il devint de plus en plus net que Acte était clairement un album « parenthèse » : quelques titres égarés entre deux albums, mais qui malgré leur discrétion, se devaient d’être faits et sont une part indéniable de l’évolution du groupe.
Rien qu’une petite flamme grise et sans lueur ; Depuis les bancs, c’est la défaite qu’on a gravie depuis des heures. On n’a pas su tout de suite ce que les choses voulaient de nous, Alors du grand Lui au petit Je, des yeux à contre-jour. Puisqu’à l’écart j’ai vu d’autres forts naître, Puisqu’à les croire on n’apprend rien d’autre que du rien. Je suis nulle part devant des phrases et des falaises, Si la lumière me trouve ici, j’aurais cette flamme devant l’altesse.
Pendant de longs mois je me suis ressassé ces deux courts albums, sans trop savoir si le groupe reviendrait à nouveau au bout de quelques années ou si c’en était fini pour une quelque raison. Il arrive parfois que des groupes meurent sans explications, malgré la pointe de talent qui s’esquisse et s’immisce dans leurs pistes. C’est triste, mais ce n’est détestablement par rare. Fort heureusement, il suffit du mois de mars pour que l’espoir me reconquière. Alors que je flânais dans le dossier « Sites à visiter des fois que » de mes marques-page, je suis tombé sur cette image. Imaginez ma surprise, un nouvel album seulement un an après le dernier, il n’en fallut pas plus pour embraser et grandir mon impatience. Je n’ai eu de cesse de chercher sur Internet des informations sur ce projet à venir, la liste des titres, des extraits ou que sais-je. Pendant un long moment je me suis consolé en écoutant le morceau « De plein fouet » proposé sur le Myspace du groupe (Des fils tendus entre idées vagues, là où des nuits fades et distraites laissent filer les temps.). Mais je ne suis pas de ceux qui écoutent des pistes de manière individuelle, j’ai toujours eu un grand respect pour l’ensemble que forment les albums surtout pour des groupes comme celui-ci où les morceaux ne sont jamais aussi indépendants qu’ils le paraissent. J’ai donc laissé de côté tout cela pour m’adonner à d’autres musiques, une manière d’oublier et de penser à autre chose pour que le temps passe plus vite (même si GTAIV a préoccupé mon moins d’avril). La suite, je l’ai déjà dite, le retard s’est fait jour, le disque s’est réparti entre quelques magasins seulement, et je n’ai pas pu le toucher avant cela. Je ne sais trop quoi en dire pour l’instant, si ce n’est qu’il correspond parfaitement à ce que j’en attendais, et suit la trame et les ambiances lancées par « Des Lumières sous la Pluie ». On retrouve les plages instrumentales, le style très imagé d’Arm, les mélodies tantôt simples et tantôt s’envolant dans la démence. Ce qui est sûr, c’est que ma patience a été récompensée, puisque tout comme l’album avant Acte, « Vu d’ici » propose un périple global. Loin des parfums de bitume du premier, je lui ai trouvé un certain côté évasif et apocalyptique, mais je suis peut-être influencé par la pochette et les mots du morceau-extrait « De Plein Fouet ». Une chose est certaine, il s’agit là d’une nouvelle descente dans les entrailles de Mère la Nuit, une épopée s’achevant avec la dernière piste intitulée « L’aube, enfin », une des nombreuses pistes instrumentales qui peuplent cet album. Un album beaucoup plus rock que ses prédécesseurs, avec des morceaux comme « L’Éclair » où se retrouvent soudainement sur scène batteur, bassiste et guitaristes. On retrouvera aussi le texte Des Lumières Sous la Pluie, morceau signature du groupe et qui chaque album se présente différemment. En un sens, c’est parfaitement la suite que l’on attendait. On retrouve toujours Arm au micro, Olivier Mellano à la guitare, Robert le Magnifique à la basse et aux machines. Quelques invités se joignent aussi le temps d’une piste, mais ce n’est que pour mieux égarer l’auditeur dans l’obscure brume de cette pénombre si chère au groupe.
Je ne sais trop quels mots placer en guise de conclusion. Une chose reste indubitable, Psykick Lyrikah est un groupe qu’on peut facilement ne pas aimer, parce que son écoute implique de passer outre la sphère semi-hermétique qui entoure les textes. Il est tout à fait possible de se laisser porter par les images et la musique, mais ce serait faire fi de ce qui fait entre autres l’intérêt du groupe. Plutôt que de paraphraser, je préfère terminer sur une citation d’Arm lui-même, « Certains artistes ne laissent aucune place à [l’interprétation], tout est dit tout de suite, à prendre ou à laisser. Je pense que c’est intéressant d’inverser la recette — moi-même il y a des moments d’écriture où je suis pris dans un tourbillon, les choses deviennent floues, mais les idées sont là, derrière l’orage ». Histoire de ne pas vous quitter de manière si abrupte, je vous laisse quelques morceaux tirés de Deezer. Dans l’ordre, Près d’une Vie, L’Éclair, Trois Lettres Rouge Sang, La Tête à Effacer, Les Grands Vides et De Plein Fouet, Mille Bruits, Thèmes et Variations. Quatre albums, deux morceaux chacun. Le player flash déconne complètement sur Nofrag mais l’intention y est. Cela n’a pas la prétention d’être représentatif de l’œuvre du groupe, c’est juste un échantillon sélectionné dans l’humeur du moment. Tout comme un texte ne peut se résumer en une pincée de mots, je ne peux pas garantir que ce que vous allez penser de ces morceaux, sera représentatif de quoi que ce soit. Faites avec. Sur ce, je vous abandonne en musique, cliquez sur l’image pour la playlist.