Autopergamene
White Night
story🇫🇷 françaisPublished 2006-12-1415mn to read

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On a toujours le choix, le choix d’être qui on est, le choix de connaître des gens. Et au final le choix de sa propre mort.
Les mauvaises langues diront que le libre arbitre n’est qu’un sentiment purement crée par l’homme.
Cependant, tout ce que l’on fait dépend entièrement de ce que l’on a fait.
Et au final, on meurt à cause de ce que l’on a dit, ce que l’on a fait et des gens qu’on a connus.
1
La lune était si belle. La mer s’agitait calmement et reflétait le monde présent au dessus de ses frêles vaguelettes. Il ne faisait pas particulièrement chaud, il faisait même très froid pour un mois de novembre. « Hiver tôtif » pensa Marc avant de se rappeler que ce mot n’existe que dans son imagination. « Hiver précoce, fils indigne ! » aurait hurlé sa terrible mère. Mais elle ne le corrigerait plus, plus jamais. Elle gisait désormais sous terre. « Oh, certes » -qui faisait parti des expressions préférées de Marc- elle ne l’était pas encore tout à fait, elle était pour l’instant préparée et embellie pour garder une image méliorative d’elle, aussi dur que cela puisse être.
C’est pour cela que Marc était ici dans cette ville, enterrer dignement sa mère pour enfin l’oublier et la laisser du coté de son passé. Son père en avait eu marre bien avant lui, il s’était pendu un après midi de juin. Paix à son âme, mais lui au moins n’avait pas eu à supporter la vieille Teasel jusqu’à ce qu’elle meurt de froid, la haut dans sa maison vide et sans chauffage. « Le Seigneur du Suicide » était le surnom qu’avait ironiquement donné Marc à cette maison, personne aux alentours, pas d’électricité, pas de chauffage, de quoi donner des envies de morts « tôtives ».
Une lumière vive et rosâtre illumina les yeux pensifs de Marc, l’enseigne clignotante d’un bar. Il frotta ses mains ensemble et en posa une sur la poignée pour entrer se réchauffer. Les rues avoisinaient les –4° d’après les dernières estimations, c’est une époque de grand froid qui approchait, beaucoup de personnes allaient mourir dans les rues, sans que personne ne s’en rende compte.
2
Que de monde dans ce bar. Oh, certes, c’était plutôt une sorte de boite de nuit, les gens dansaient, et il y avait un petit bar. Personne n’y buvait, le serveur se sentait bien seul, bras sur le comptoir, le visage enfoncé dans les paumes de ses mains, il fixait les gens danser et parler. Des gens d’une autre époque, qui vivaient différemment, et qui changeront peut-être quand ils seront adultes.
Marc prit un tabouret, le bruit du métal contre le parquet sortit l’homme barbu de ses pensées. « Qu’est ce que je vous sers mon bon jeune homme ? » dit-il avec un accent d’ailleurs dont la provenance échappait à Marc. Celui-ci sembla réfléchir, et demanda quelque chose d’assez doux.
Marc se sentait observé à sa droite, il y avait en effet une jeune femme. Elle portait un haut blanc assez serré qui laissait paraître ses épaules, et jusqu’à preuve du contraire, elle était éblouie par Marc comme si c’était une lueur divine. Il regarda une dernière fois à sa gauche pour s’assurer que c’était bel et bien lui qu’elle admirait. C’est dans la nature de l’être humain d’aimer être admiré, après tout. Cela procurait à Marc ce sentiment de puissance qu’il ressentait auparavant quand il était encore vraiment jeune.
Partir ou rester pouvait peut être tout changer dans la vie de cette jeune femme. Tout comme dans la sienne au fond. Mais c’était plus fort que lui, il devait la connaître, elle devait s’ajouter à sa vie, alors il se retourna vers elle et lui sourit. « Vous savez bien que c’est vous que je fixe, abruti. » lui fit-elle remarquer. Marc eut une vague impression d’entendre sa mère, qui s’estompa aussi vite qu’elle était venue.
Le vieil homme apporta enfin une sorte de cocktail à Marc.
-
Vous ne supportez pas l’alcool ? demanda-elle alors.
-
Oh, pas ce soir non… Et vous, vous ne buvez rien ?
-
(Elle soupira) Non, je suis là depuis des heures, je suis crevée et j’ai plus une pièce en poche. Marc releva la tête vers le barman, puis se retourna vers elle avec un réconfortant « Laissez moi vous offrir quelque chose ». Elle réfléchit quelques instants comme si c’était décisif, et accepta volontiers. Il lui inspirait confiance après tout.
-
Offrez-moi un simple verre de soda, ce sera suffisant. Si je prends de l’alcool, je me retrouverais dans votre lit demain matin. La pauvre était sur ses gardes, la pauvre. Son état en disait long, et Marc était quelqu’un qui en connaissait long sur les êtres humains. Il faisait parti de la classe des puissants, des forts qui observent les gens grouiller à leurs pieds et qui les observent avec une loupe les jours de grand soleil. Et plus il en savait, plus il les voyait de haut.
-
Vous avez déjà bu, il me semble, de toute manière… lui rétorqua t-il alors.
-
Je…non. Je suis juste un peu…enfin je ne dors pas beaucoup en ce moment.
-
Vous habitez loin ?
-
Peut être.
-
Me laisseriez vous vous raccompagner chez vous ? Je sens que si vous rentrez seule il vous arrivera quelque chose de mal, les rues ne sont pas sûres en fin d’année vous savez ?
-
Qu’est ce qui me prouve que vous êtes quelqu’un de bien ?
-
Oh, faites-moi confiance là dessus. Et elle lui sourit, d’un air enfantin comme si toute cette petite conversation, qui entamerait sans problème un roman d’amour, n’était qu’un petit jeu sans conséquences. Un sourire qu’on n’avait jamais adressé à Marc, car on n’avait jamais souri à Marc, alors c’était un peu son sourire à lui, rien qu’à lui.
3
La nuit était plus profonde encore quand ils ressortirent du bar. Il ne put s’empêcher de se retourner vers elle, elle était si belle que la lune faisait désormais pâle figure. Oh, certes, sa méfiance ne s’était pas dissipée entièrement, mais elle avait accepté d’être raccompagnée, c’était déjà une chose.
Ils descendirent dans le parking sous-terrain désormais envahi par les zones d’ombres. N’importe qui pouvait surgir et les tuer, mais non, c’était stupide et peu optimiste, et surtout trop parfait pour se terminer ainsi. La jeune femme pointa du doigt sa voiture. Une très vieille voiture, qui avait du sûrement appartenir à un de ses parent.
Marc se plaça coté conducteur et posa ses mains sur le toit, en la fixant marcher vers lui comme dans les films. Comme si ce n’était qu’un film.
« Les clefs ? » lança t-il à la jeune femme. Elle le regarda alors profondément, « Qu’est ce qui me prouve que vous n’allez pas partir avec ma voiture dès que vous serez dedans ? ». Elle avait toujours le contrôle sur lui, et elle s’amusait à observer ses réactions. Marc répondit simplement une nouvelle fois « Je suis quelqu’un de bien ».
Argument zéro, mais elle s’amusait trop pour lâcher Marc dans un parking. Elle voulait en savoir plus, et garder un contrôle certain sur sa vie. Alors elle fit son choix et lui lança les clefs.
Marc monta dans la vieille voiture rouge et, comme promis, déverrouilla le coté passager. Elle s’assit et sourit encore une fois à Marc. Au moment ou il s’apprêtait à tourner les clefs elle lui saisit la main et lui demanda son prénom. Mon dieu, il ne s’était même pas présenté.
- Marc Teasel, et est ce que cette jolie jeune femme à un prénom ?
- Oh, oui, Meredith Berthenson.
- Ce n’est pas d’ici n’est ce pas ?
- Non, en effet. Ça y est, il avait son nom, Meredith, quel beau prénom. Elle inscrivit son adresse sur un post-it qui traînait dans la boite à gants :
« White Avenue – Immeuble 127 – Appartement 14 ».
Par chance, Marc savait précisément où c’était. Elle ne voulut même pas savoir pourquoi ni comment, le jeu qu’elle jouait devait continuer.
4
Le bruit de la climatisation aurait pu atténuer ce silence de plomb, mais cela n’existait pas encore quand cette voiture avait été assemblée. Alors elle mit la musique, puis reposa sa tête contre la ceinture, en fermant les yeux. Elle n’avait même pas le courage d’observer la route défiler sous ses yeux, de croiser le regard des gens par la fenêtre.
- Vous vivez seule ? demanda Marc, en espérant qu’elle ne dorme pas déjà.
- Oh, oui. Enfin, personne n’est dans ma vie si c’est bien ce à quoi vous pensiez. Un peu comme vous.
- Qui vous dit que je vis seul ?
- Vous viendriez faire le galant auprès des jeunes femmes si ce n’était pas le cas, abruti ? Voyons, vous voyez ce lac à droite ? Nous sommes tous les deux dedans, en attendant que quelqu’un nous tende une perche. On est seul.
- Non, c’est moi qui vous tend la perche.
- Ca, c’est ce que vous dites. Pas ce dont vous vous rendrez compte en me laissant repartir sans même prendre mon numéro, et en le regrettant toute votre vie. Alors, alors la seulement vous collerez vos mains contre les vitres de mon immeuble, et vous me supplierez, parce que je serais de l’autre coté bien au chaud, avec quelqu’un, et vous vous serez dehors au froid et vous mourrez, dévoré par…par des remords. La conversation s’arrêta là, aucun des deux n’osa ajouter quoi que ce soit. Meredith se contenta d’ajouter lorsque les immeubles furent en vue : « Promettez-moi juste de m’accompagner jusque sous ma porte ».
C’était désormais sur, aucune perche ne se tendait, ils se noyaient ensemble et touchaient tous les deux le fond sombre et froid du lac.
5
White Avenue n’était pas réputé pour sa richesse. Personne n’y habitait, et personne n’osait y habiter. Les seuls résidents étaient des crapules et des psychopathes qui se terraient dans les sombres immeubles désaffectés depuis l’incendie qui s’y était produit. La municipalité avait commencé à reconstruire des immeubles, l’immeuble 127 en faisait parti, mais les travaux furent vite abandonnés.
C’était désormais des quartiers pauvres et quasi-déserts, ce qui devait fragiliser encore plus la branche à laquelle se raccrochait Meredith. Pourquoi diable était-elle venu vivre ici ? Oh, pour que jamais quelqu’un ne vienne lui demander du sucre ou l’inviter à une soirée privée. L’isolation quasi-totale. La vie par le vide. C’est ça de vivre dans des quartiers pauvres.
Meredith se stoppa devant la porte vitrée qui menait à l’immeuble. Le jeu était fini, elle n’avait plus la force de continuer, elle souhaitait juste rentrer chez elle. Marc appuya sur la poignée et se souvint qu’il fallait un code pour rentrer, bien évidemment. Meredith passa ses bras autour de Marc et posa sa tête sur son épaule tout en fermant les yeux. « Tapez le code vous-même s’il vous plait, vous devez le connaître ».
Marc, du haut de sa fourmilière se demanda si cette phrase était due à la fatigue, ou simplement à un élan pur et simple de paranoïa. « Tape le ce code, tu le connais. Tu le vois à chaque fois que tu me suis tard le soir, abruti. ». Elle finit par appuyer au hasard sur les touches et la porte s’ouvrit.
Les escaliers étaient en colimaçons, ce dont Marc avait horreur. Oh, certes, il fut plus facile de porter la magnifique Meredith dans des escaliers comme ceux ci, mais il restait sur sa décision, ça ne collait pas aux décors alentours, dans des quartiers comme White Avenue, les choses ne tournaient pas rond, même les escaliers.
Quand il fut arrivé au troisième étage, il relâcha légèrement son emprise sur Meredith et elle se raccrocha de plus belle. « Ne me lâche preux chevalier », semblait lui murmurer son visage serein.
L’appartement 14 était le dernier sur la gauche, à coté de cette petite lucarne de laquelle on voyait le monde d’en haut, bercé par la nuit.
Il réveilla Meredith, sous sa propre porte. Même si « devant » aurait été plus exact pensa Marc. Comme promis, comme il l’avait fait avec sa propre sœur. Elle était morte écrasée par un poids lourd, et Marc s’en souviendrait toute sa vie. Sa sœur l’avait supplié de rester avec elle, elle se sentait si seule. Mais il avait refusé, il l’avait laissé et était reparti. Elle l’avait suivi pour le supplier une dernière fois et c’est lorsqu’elle traversa la rue que le camion lui roula dessus. Son corps était en lambeaux, à peine reconnaissable. Marc en fit de terribles cauchemars, des jours durant, avec toujours cet écho de sa sœur qui le suppliait « Reste Marc, je t’en supplie… ». Oh, et puis…
-
Merci de m’avoir raccompagné.
-
Hein ? fit Marc sortant de ses pensées.
-
(Elle lui sourit) Vous êtes peut-être vraiment quelqu’un de bien. C’est drôle ça, remarqua Marc, quand on demande à quelqu’un de répéter une phrase, il dit toujours quelque chose de différent. L’Homme est un grand perfectionniste avait observé Marc, de la haut.
-
Vous êtes sur que…que vous ne pouvez pas rester ? ajouta-elle en insistant.
-
Non, je vous l’ai dit dans la voiture. Je travaille très tôt et je dois être chez moi frais et disponible au lever du soleil. Marc prit la main douce de Meredith et lui donna les clefs, tout en caressant délicatement sa main, histoire de garder un souvenir agréable au possible. « Au revoir », lui dit-il en fixant une dernière fois ses si beaux yeux bleus.
Meredith fit tourner avec regret les clefs dans la serrure de l’appartement. Marc l’entre aperçut du coin de l’œil. Un grand appartement sans personne pour y habiter. Le royaume de la solitude, le seigneur du suicide. Un monstre de silence qui maintenait sa main autour du cou de la jeune Meredith, prêt à serrer du plus fort qu’il le pouvait, à appuyer sur l’accélérateur et à lui rouler dessus avant de partir au loin.
Marc faisait la même chose, s’approchant de plus en plus de l’escalier en colimaçon, laissant le corps de Meredith, seul. Il entendit le bruit d’une porte qui se ferme. « Restez, je vous en supplie ».
Il se retourna, Meredith était écroulée contre sa propre porte, l’implorant avec une voix cassée. Ses yeux brillaient sous la lumière des néons. Ses si beaux yeux bleus qui coulaient le long de ses joues.
« Que mes yeux s’écoulent dans les lacs ».
6
Il faisait froid. Non, pas un froid qui venait de l’extérieur et dont on se plaignait en attendant l’été. Un froid qui venait de l’intérieur et gelait lentement les organes de Marc. Rien ne semblait pouvoir le réveiller, si ce n’est cette légère flaque d’eau proche de l’oreiller de Meredith.
Il se releva en sursaut ; elle n’était plus avec lui, dans ce grand lit beige au cœur du Seigneur du Suicide. Le réveil indiquait le lendemain, la nuit allait tomber. Adieu travail chéri, je te trompe avec une autre.
Marc marcha un peu dans l’appartement au carrelage glacial. Nulle trace de la belle Meredith ; sans doute s’était-elle envolée comme un flocon de neige. Qu’avait-ils bien pu faire la nuit dernière ? Oh, certes, ils avaient fait l’amour, mais tout aussi froid que ce carrelage. Meredith ne le faisait que pour dire qu’une fois dans l’année elle n’avait pas pleuré seule dans son grand lit. Dans le fond, elle n’aimait pas vraiment les gens. Mais cela, datait d’une époque déjà bien antérieure.
La main de Marc abaissa la poignée de l’appartement, celle de l’immeuble, celle de sa voiture. Peu importe ce qu’il avait oublié chez la belle Meredith, il reviendrait tôt ou tard chez elle.
7
Et l’eau s’écoula sous les ponts.
La vieille Teasel était en terre sous les yeux de Marc. Il serrait fort la main douce de Meredith, elle était venue avec lui au cimetière pour lui faire plaisir. Elle alla même jusqu’à pleurer, avec de vraies larmes. Elle laissa Marc seul sur la tombe de sa mère et s’en alla pleurer.
« Article 4 : La mort n’est qu’une étape ». Parfois Clara rêvait qu’elle était morte, dans un cercueil en bois. Jamais son rêve ne se réaliserait, mais Meredith venait quand même au cimetière, pleurer une tombe qui n’existera jamais. Comme si cette fille que la mort avait arrêtée en chemin gisait sous terre, inachevée, à la place de cette vieille Teasel qu’elle n’avait même pas connue.
Marc passa ses bras autour de la taille de Meredith, il ne s’en lassait pas, depuis déjà deux mois qu’elle et lui étaient ensemble. Que plus aucune ondulation ne ricochait dans le lac. « Je, je dois y aller » dit-elle.
Ils s’embrassèrent langoureusement et Meredith partit. Marc ne savait pas trop où diable pouvait-elle aller, elle sortait (trop) souvent, et rentrait à des heures très tardives. Oh, certes, Marc sortait lui aussi, mais c’était pour errer dans les rues à la poursuite du vent. Et il rentrait sans réel souvenir du chemin qu’il avait suivi.
« Je rentre à la maison pendant ce temps. » dit-il dans le vide, car Meredith était déjà loin.
8
L’appartement de Marc possédait une vue unique sur la ville, à travers une large véranda qui lui permettait d’observer à sa guise ses petites fourmis. De ressentir à nouveau ce sentiment de puissance que l’on ressent quand on domine les autres, comme Marc le faisait lorsqu’il était jeune.
Il était affalé sur son fauteuil, emmitouflé dans de gros vêtements d’hiver. Il avait de plus en plus froid. L’hiver gagnait du terrain, ou c’était peut être juste son imagination.
Oh, certes, les rues étaient froides en ce mois de janvier, mais ça n’empêchait pas Marc de faire sa promenade hebdomadaire.
Une lumière vive et jaunâtre illumina les yeux pensifs de Marc. Un petit café dont des vitres faisaient office de murs et qui laissaient observer les gens à l’intérieur comme -un élevage de fourmis- un musée. Marc se frotta brièvement les mains et poussa les deux barres en acier qui donnaient accès à cet endroit à température acceptable. L’Eldorado des rues d’Hiver, un vulgaire café au nom imprononçable.
Marc s’assit à une petite place dans le fond, une place à lui, rien qu’à lui. Il leva les yeux. Oh, certes, elle était là, Meredith : assise, pensive, devant une assiette encore pleine et déjà froide qu’elle n’avait pas la force de manger. Elle jeta un coup d’œil au sol, se leva et laissa un petit billet sur sa table. Marc était quelqu’un de bien, et il la laissa partir, sans lui poser de question. Mais il se sentait bizarre ce soir là. Ou allait-elle ? Que faisait-elle ici ?
Plusieurs personnes auraient pu témoigner que cet homme était sorti du bar en murmurant « Je suis quelqu’un de bien. », seulement s’ils avaient su plus tôt.
9
Meredith semblait ne plus se souvenir de son adresse. Elle errait, elle aussi, dans les rues. Fil d’arianne montre-toi, la belle requiert ton aide.
Immeuble 127. La belle se stoppe devant la porte vitrée. Elle ne veut pas appuyer sur les touches, le connaît-elle d’ailleurs ce code ? Ou le tape t-elle à chaque fois au hasard ? Mais non, elle, elle ne faisait rien. Elle attendait devant cette porte. « Qu’attends-tu belle ? Le Destin grisonnant qui se traîne au détour d’un couloir ? » aurait répondu un héros de littérature. Marc s’impatientait, il attendait qu’elle entre.
« Tapes-le toi-même, tu le vois quand tu me suis, tard le soir. ». Et un homme arriva, un grand et blond homme avec une veste en jean. Elle sauta dans ses bras, et l’embrassa.
Marc sentit un pincement au cœur. Non, un déchirement, une tempête, un ouragan, un cataclysme. Un élan profond de haine qui lui monte au cerveau. Une barre à mine maintenait un capot de voiture à sa droite, comme posé là à son intention, et Marc s’en saisit sur-le-champ…
Oh, certes, elle hurla du plus profond de sa gorge, lorsque le crane de son bien aimé fut percé avec violence. Oh, certes, elle hurla quand les mains gelées de Marc se posèrent sur le coup fragile de la belle, prêt à serrer du plus fort qu’il pouvait. Oh, certes, elle ne dit plus rien lorsque ses yeux tendirent à regarder vers le haut, lorsque plus un souffle même glacial ne sortit de sa bouche. Quand son sourire à elle, rien qu’à elle, s’effaça pour de bon.
Personne ne vit Marc, personne ne s’en souciait. Il n’y avait personne aux alentours. C’est ça de vivre dans des quartiers pauvres. Le froid s’amplifia encore une dernière fois, non pas graduée comme les précédentes, mais un terrible souffle glaciale digne du Sirocco. Marc voulu se relever et partir au loin, comme il le faisait à son habitude, mais ses membres étaient déjà paralysés par le froid et par la glace.
Meredith descendit patiemment les escaliers, accompagné d’un vieux loup grisonnant, et elle le fixa attentivement, de l’autre coté de la porte. Oh, certes, après mûre réflexion, la femme morte au sol ne ressemblait pas tant que ça à la belle Meredith. Quelle bête confusion.
Des larmes se mirent à couler des yeux de Marc. Avec un effort inouï il décrocha ses mains du cou de la femme, y laissant des bouts de peau, et les colla contre la vitre. Il implora Meredith, bien au chaud avec « son » loup, mais il était bien trop tard. Elle l’avait pourtant mis en garde, dès leur rencontre.
Meredith ferma les yeux lorsque les autres loups arrivèrent pour dévorer Marc. Elle sourit même une dernière fois avant que le jeu ne se termine une bonne fois pour toute.
Le loup le plus gros portait le collier « Clara E. », c’était un loup qui portait le même nom que cette jeune fille à l’époque, Eisonhower. L’époque ou Marc dominait les autres de sa place de tyran, se sentant fort et puissant, enfermant des filles dans les douches… Le loup jeta un dernier regard à Meredith qui garda les yeux fermés. Puis il arracha violemment un bout de gorge à Marc.
« Ne t’inquiètes pas, je suis quelqu’un de bien » murmura Meredith en remontant les escaliers.
10
Rien ne semblait pouvoir réveiller Marc, si ce n’est ce drap mouillé par les pleurs de Meredith, seule dans son lit. Il se releva en sursaut et posa ses pieds au sol. Le carrelage était toujours aussi froid, il aurait pu l’être moins si une neige immaculée ne le recouvrait pas.
Portes et fenêtres étaient condamnées. Les aiguilles de l’horloge s’étaient arrêtées petit à petit comme un cœur qui cesse de battre. Même le soleil ne viendrait pas pleurer le corps de Marc agonisant dans « les murs » de la belle Meredith, dans son monde, le royaume de la solitude, le seigneur du suicide, Veneanne.
Car dans le fond, on meurt toujours à cause de ce que l’on à dit, ce que l’on à fait.
Des gens qu’on à connu, et des gens qu’on à voulu connaître.